UNIVERSITE DE PARIS  - FACULTE DES LETTRES

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LE FACTEUR PERSONNEL

DANS LE

PROCESSUS EDUCATIF

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THESE POUR LE DOCTORAT D’UNIVERSITE

Présentée à la faculté des lettres de l’université de Paris

PAR

PADMANABHAN NATARAJAN  M .A  L .T

Directeur Sri Narayana Gurukula Fernhill, Nilgiri, Inde

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PARIS

LES PRESSES MODERNES

IMPRIMERIE

45 RUE DE MAUBEUGE

1932

D55.530

INTRODUCTION

L’histoire du progrès de la pensée éducative au cours de ces deux derniers siècles ([1]) surtout, nous montre comment les psychologues et les philosophes ont continuellement empêché les praticiens d’aboutir à une impasse. Les étapes de ce progrès nous révèlent la connaissance  grandissante du fait que la nature de l’enfant prend une importance de plus en plus grande. Pour oser toucher à l’épanouissement spontané de la nature de l’enfant et l’influencer, il est reconnu nécessaire maintenant que les éducateurs ne doivent pas être guidés par des idées préconçues quelles qu’elles soient, religieuses, économiques, commerciales ou autres théories sur la vie collective, mais par les tendances mêmes de l’enfant, que ces tendances doivent être découvertes, et leurs lois appliquées dans la pratique éducative. Les aspects de la vie de l’enfant, considérés jusqu’ici en dehors du domaine de l’éducateur, lui sont graduellement annexés et nous commençons à comprendre qu’aucun aspect de la vie enfantine, à l’école ou à la maison, comme futur membre d’une communauté ou comme individu, ne peut être négligé dans une discussion scientifique des problèmes éducatifs. C’est à un aspect comparativement subjectif et synthétique de la vie de l’enfant regardé d’un point de vue « privé » ou individuel, que nous allons nous limiter dans cette étude. Notre but est limité plus encore par notre objet spécifique d’arriver à traiter, dans la dernière partie de cette étude, de la nature bi-polaire et des caractéristiques dynamiques des relations éducatives.

Chaque enfant dès qu’on le juge « éducable » est appelé à jouer un double rôle : d’un côté à être au milieu de beaucoup d’enfants, de l’autre à être le chéri de sa mère. Que ces deux rôles soient incompatibles, cela est suffisamment démontré par les tendances des enfants de tous les pays et de tous les âges à faire « l’école buissonnière ». On peut dire que l’intérêt de la mère pour l’enfant va aux aspects individuels et personnels tandis que le futur rôle de l’enfant ne tient compte que des aspects impersonnels. L’étude de l’enfant peut être envisagée de l’un ou l’autre de ces points de vue, soit dans l’intérêt de la mère qui dans ses rapports avec l’enfant se tourne vers un évènement passé, soit dans l’intérêt de la future communauté à laquelle appartiendra l’enfant. A aucune phase de la vie ces deux aspects ne disparaissent du processus éducatif, mais chacun d’eux croit ou se transforme aux dépens de l’autre.

L’étude des problèmes éducatifs s’est le plus souvent occupée de l’avenir de l’enfant plutôt que des événements passés ou « privés » de l’enfant.


Il y a confusion entre la succession a priori et a posteriori de la pensée éducative ([2]) : c’est ce qui nous a valu toute la littérature qui sous formes de conseils donnés aux éducateurs par des penseurs, des hommes de science et des philosophes, représente les diverses permutations et combinaisons grâce auxquelles les principes fondamentaux peuvent être mêlés à l’expérience ordinaire. Il en résulte qu’il n’est pas possible d’obtenir une définition acceptable du but éducatif le plus pur.

Admettons que nous ayons à fixer un idéal en éducation, admettons aussi que « l’éducande »([3]) soit une force neutre dans le processus éducatif. Il nous reste encore trois forces agissant sur « l’éducande » :

  1. Les intérêts de la mère ou intérêts privés et personnels de l’enfant.
  2. Les intérêts de la communauté ou de l’état qui tendent à en faire un citoyen.
  3. Les désirs de l’éducateur lui-même contrôlés par la théorie de l’éducation la plus saine possible.

Si nous examinons plus loin, nous verrons clairement que les principes de chacune de ces forces sont si multiples qu’il devient presque impossible de concevoir quelque chose qui soit digne du nom de processus éducatif dans ce qui passe pour cela dans la vie ordinaire.

Un processus éducatif doit être conçu en thermes de phénomène bi-polaire entre éducateur et éducande, soit qu’il y ait un éducateur personnel, ou plusieurs, ou que ce soit la nature elle-même que l’on considère comme force éducative Ce qui veut dire que les relations entre éducateurs et éducande doivent être aussi directes que possible.

Une fois les conditions bi-polaires assurées, il est nécessaire, si l’on veut obtenir de bons résultats, que cet état, que cet état de bi-polarité soit gardé aussi intact que possible à travers le processus. Il faut en éloigner tous les facteurs qui pourraient altérer la pureté de ces relations et prévoir des changements chez l’éducateur et chez « l’éducande ». Quand toutes ces  précautions sont prises et qu’il  y a promesse d’arriver  à de  bons résultats, il est bien d’intensifier autant que  faire  se  peut    les relations. Comme le produit d’une bonne éducation n’est pas seulement un individu sans défaut dans la vie publique, mais un individu dont la vie privée soit sans tache, il est de toute nécessité de s’assurer que les conditions éducatives soient aussi complètes que possible, qu’elles ne visent pas seulement à une éducation de surface. Seule une intensification des relations entre éducateur et éducande permettra d’atteindre le siège subjectif de la conduite, facteur capable d’entrer en relations continues avec quelque chose d’externe. Obtenir ces conditions bi-polaire requises pour un processus éducatif efficace grâce à la connaissance de ce que nous désignerons sous le terme de « personne », dont nous ferons un concept distinct en éducation, et les obtenir par l’établissement des relations personnelles, tel sera le sujet de la présente thèse.

On a toujours insisté sur le rôle qui revient en matière éducative à la personnalité du maitre, à « l’atmosphère » d’une classe, etc… : les écrivains, vers la fin de leur discussion surtout, ont invariablement consacré des paragraphes à ce sujet. Cependant le voile de mystère qui entoure ce problème de la personnalité n’a pas été suffisamment écarté. Quelques indications récentes montrent même que l’on tend à éviter de lui faire face.  (Le Dr W.H. Kilpatrick, par exemple, dans son ouvrage « Foundations of Method » (p 58), désapprouve l’emploi de termes comme celui de personnalité dans la discussion des problèmes éducatifs).

L’introduction d’un tel concept est-elle opposée à une discipline scientifique rigoureuse ? Cette question demande une réponse ici. C’est à l’aide des termes de sciences physiques, qui traitent des aspects très peu différents d’un état d’équilibre naturel, que l’on peut faire le mieux un raisonnement scientifique exact, dans le sens le plus orthodoxe, la physique s’occupant d’événements naturels et de phénomènes de nature simple et de durée facile à mesurer. Lorsque le processus des recherches objectives fit un pas en avant et que des phénomènes tels que « l’attraction moléculaire », l’inertie et autres propriétés de la matière demandaient à être expliquées, la rigidité orthodoxe se détendit. La conception des charges électriques positives et négatives s’impose bien que l’électricité soit une seule et même force. Grâce à la méthode analytique de la recherche scientifique, nous sommes arrivés maintenant à un point qui nous permet de parler de la matière elle-même comme étant non matérielle. Si nous suivons le cours de la pensée exacte dans la direction synthétique de son développement nous verrons que l’étude de la nature que l’on considérait autrefois comme un sujet de littérature s’en est détachée et constitue maintenant le domaine de la science proprement dite. Cependant les sciences naturelles ont du renoncer à l’exactitude géométrique et le concept d’un organisme ayant ses propres particularités et son cycle de vie nous est devenu familier. Dans les concepts de l’astronomie moderne et dans la théorie de la relativité ont voit s’effondrer complètement l’ancienne rigidité des catégories scientifiques. La pensée scientifique fait sienne des concepts tels que celui du « néant » atteint par l’analyse objective et celui du « temps-espace » issu de la synthèse, d’une synthèse qu’on peut dire presque métaphysique. Chaque spécialité scientifique tire sa propre tangente d’un point convenable de ce champ de la pensée, à l’usage de sa propre pensée exacte ; c’est ainsi qu’un électricien mesure avec son unité propre au lieu de mesure en termes d’électrons : le géologue prospecteur travaille au moyen de caractères mégascopiques, tandis que le géologue de laboratoire emploie une méthode différente. Chaque branche a donc la liberté de choisir son propre point de départ et  la direction de ses recherches. Il n’y a rien a priori qui permet de déterminer la ligne droite de la recherche analytique ou synthétique, de l’interprétation objective ou subjective, de l’étendue ou de l’intensité du champ d’étude qu’un penseur doit suivre si ce n’est la loi qui domine la chose étudiée. En jugeant de la validité scientifique de la discussion qui va suivre, le fait le plus important est de voir si les concepts seront secourables ou non au praticien de l’éducation.

Quand aux déductions que nous nous proposons de tirer dans les pages qui suivent, rappelons-nous qu’il y a certains traits particuliers à la matière de notre sujet qui réduiront la netteté de nos déductions comparativement à celles des sciences pures : en premier lieu, l’élément de temps ; dans le processus éducatif, celui-ci doit être mesuré à l’échelle d’une génération pour le moins. Les résultats d’une bonne éducation ne peuvent se démontrer dans un laboratoire. Les analogies astronomiques, en cette matière, sont plus près de la science éducative que les analogies de la physique. Le second facteur qui contribuera à rendre nos déductions moins définies vient du fait que les lois éducatives observées actuellement s’appliquent aux conditions normales de la vie humaine suivant les lois naturelles de l’évolution ([4]) ; ce qui fait que si, par exemple un éducateur obtient, par des méthodes spéciales, certains résultats dans un temps comparativement court, celui-ci ne jettera que peu de lumière sur le processus éducatif, tandis qu’un résultat obtenu dans des conditions de vie plus naturelles, avec la probabilité de se répéter à l’avenir, sera une expérience de plus de valeur.  Plus un processus mérite le nom « d’éducatif », plus il devient difficile de le démontrer expérimentalement. C’est dans les conditions les plus naturelles et les plus normales qu’un processus éducatif peut être le mieux observé. Plus les aspects d’un processus peuvent être démontrés d’une manière frappante, moins ils sont intéressants pour l’éducation dans le sens le plus vrai du mot. Il y a donc une large place pour le scepticisme quand aux résultats éducatifs à telles enseignes que même l’éducabilité de « l’éducande » est un point de controverse. Les méthodes modernes « behaviouristes » ne semblent pas améliorer la situation comme le montre un défi lancé par M. Madison Bently de l’université de Cornell : »vous pouvez être tenté d’affirmer, dit-il, qu’un enfant est à tel point neutre dans ses réactions que l’éducateur, créateur des conditions, peut en faire ce qu’il veut. Mais tant que cette affirmation n’aura pas été confirmée par une douzaine d’enfants au moins, élevés d’après un plan d’éducation publié à la naissance de ces individus neutres, je resterai sceptique sur les prétendues puissances du créateur behaviouriste ». De telles difficultés ne doivent cependant pas enlever leur valeur scientifique à des théories éducatives basées sur des expériences véritables.

Toutes les sciences, dit-on commencent par des mesures. Cependant il y a des mesures de toutes espèces. Aussi doit-on décider de l’unité de mesure avant de mesurer. Les mesures scientifiques en matière éducative ne peuvent pas être prises d’après une barre de platine placée quelque part. Un concept acceptable quant à la personne humaine peut seul, dans ce cas, servir de barre de mesure.

Dans la première partie de notre étude, nous essayerons de fixer aussi clairement que possible les bornes et les caractéristiques de la notion de la personne comme premier concept des éducateurs et dans la seconde partie nous essayerons de montrer la relation entre ce concept et le processus éducatif. Nous considérerons de même les principes qui régissent les relations  personnelles aussi bien que ceux qui règlent les relations entre maitre et élèves et qui sont à la base de ce processus d’éducation bi-polaire.

Incidemment nous saisirons l’occasion de mettre en rapport avec notre sujet quelques-uns des importants concepts de la tradition hindoue, qui ont été acceptés tacitement en Inde pendant des siècles et qui le sont encore de nos jours en vue de créer un lien, si faible soit-il, entre la pensée pédagogique de l’Inde et celle de l’Europe.

Chaque objet n’existe que grâce à un compromis entre les tendances analytiques et synthétiques de notre intelligence. Un vêtement par exemple, est vu et pris pour ce qu’il est en arrêtant sur lui les facultés analytiques qui ne voient que du simple fil et les tendances synthétiques qui ne nous rendent conscients que d’un morceau d’étoffe. Le facteur personnel que nous allons traiter doit être en premier lieu et avant tout compris comme étant une entité résultant d’un compromis semblable. C’est la nécessité de tous les jours se rencontrant avec les aspects spéciaux de l’être humain qui nous oblige à éclaircir le concept populaire de la « personne » afin de venir en aide à la théorie et à la pratique éducatives.

Partant de l’homo sapiens comme le concept le plus généralisé qui puisse se rapporter à l’homme, il est possible de trouver toute une série d’autres termes tendant à une signification de plus en plus particularisée. L’ethnologie, l’anthropologie, et autres sciences du même genre suggèrent un pas en avant vers une conception scientifique de l’individu. Mais ces concepts ne sont pas spécialement utiles à l’éducation qui se rapporte surtout à l’intelligence tandis que ces sciences sont basées sur des différences corporelles entre individus. La qualité d’individualité est attribuée à l’homme lorsque nous faisons allusion à une distinction de conduite ou de mentalité. Lorsque nous envisageons des caractéristiques plus profondément subjectives qui qualifient davantage l’individualité, nous atteignons le concept de la personnalité ([5]). Si cette qualité est reliée à d’autres qui persistent au-delà de la mort, l’on peut dire que nous voyons la personnalité du point de vue de la recherche métapsychique.  C’est là un des points extrêmes de la signification du terme « personne ». Lorsque nous insistons sur l’aspect métapsychique mais que nous nous confinons dans les limites de la vie présente et que nous croyons que les maladies nerveuses, les anormalités nous révèleront la nature des qualités cachées, nous arrivons au concept « persona » dont se servent les psychanalystes. La poésie, le mysticisme et les pseudo-sciences se servent du mot personnalité pour dénommer les diverses combinaisons des éléments objectifs et subjectifs, combinaisons trop vagues et trop nombreuses pour être classifiées. Les autres branches aux tendances plus empiriques font remonter l’origine de la personnalité dans les  glandes endocrines ; l’on peut dire de toutes qu’elles inclinent trop soit du côté de l’esprit soit du côté du corps et sont de ce fait inadéquates pour les besoins éducatifs. Le processus éducatif se définit quelquefois comme étant le processus du développement harmonieux de l’esprit et du corps, autrement dit de l’esprit-corps. La conception de la personne en éducation réunit donc l’esprit et le corps dans une combinaison compatible avec ce développement harmonieux. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, ce concept doit désigner cette sorte de combinaison de l’esprit et du corps, éléments qui n’entrent en activité que dans des conditions normales, ramenant ainsi leur signification très près de celle du sens commun. Nous voyons donc que la personne dont nos discutons forme la base des relations ordinaires entre individus.

Et lors même que nous nous limitons aux relations ordinaires de la vie, il y a place pour des fluctuations dans la signification exacte du mot « personne » qui peuvent être regardées comme s’étant aussi produites entre une tendance à généraliser et une tendance à particulariser. Deux personnes intimes ne se voient pas comme si elles étaient des entités généralisées  mais  au  contraire,  plus  elles  sont  intimes, plus  leurs  relations  tendent à se particulariser vers des subconcepts définis indiquant des relations telles que les relations paternelle, maternelle, fraternelle, filiale, etc.…Un individu faisant partie d’un groupe n’a pas la même signification personnelle ; un soldat de l’infanterie, un prisonnier, numéro quelconque  de la prison, tendent à avoir des relations généralisées qui reconnaissent seulement un aspect spécial, moyen du commun de ce qui forme l’individu. Chaque cas particulier des relations personnelles a derrière lui ses propres principes qui régissent la généralisation et la particularisation résultant de concepts variés génériques et subgénériques de la personne.

Dans le monde des relations éducatives, le concept de la personne est distinct. Les relations éducatives peuvent aussi être considérées du point de vue de la généralisation et de la particularisation. Les relations entre maitre et élèves dans un externat n’envisagent qu’un aspect partiel de la personne. Dans les écoles où l’on accorde une attention individuelle aux élèves, les relations sont basées davantage sur l’élément subjectif de ce qui fait l’individu. Comme exemple de relations telles qu’il en existe dans la vie éducative moderne, nous pouvons prendre le cas extrême d’une école américaine de plus d’un millier d’élèves des deux sexes, âgés de six à vingt ans. Ce n’est qu’une fraction négligeable de la totalité de l’élève que le maitre peut  influencer dans son enseignement collectif : aussi les relations tendent-elles à devenir impersonnelles. Prenons maintenant le cas d’un enfant du maitre, élève de la même école. Il est difficile à cet enfant, en classe, d’établir des relations normales avec le maitre son père ; tandis qu’à la maison celui-ci prendra un intérêt absolument différent à l’enfant, tachant d’user de son influence personnelle pour l’aider de toutes manières. Ces dernières relations tendent à être plus personnelles. Ainsi, par exemple les relations personnelles qui entrent en jeu dans un groupe d’étude ou bien d’après le plan Dalton sont distinctes des autres ; un sergent instructeur ne désire pas entrer en relation intimes avec ceux qu’il instruit : une relation d’ordre purement « corporel » suffit dans ce cas. D’autre part, pour le professeur qui s’efforce d’expliquer les différences entre les conceptions de l’art selon Aristote et selon Platon, il faut qu’une sympathie profonde s’établisse entre lui et les étudiants. C’est pourquoi on peut concevoir bien des types de relations éducatives, les unes convenant mieux que les autres suivant le but éducatif spécifique.

La nature même de l’individu a des possibilités de s’ajuster à la nature et à l’intensité des relations personnelles. Nous pouvons dire qu’il y a dans chaque individu une masse complexe de principes dynamiques, génétiques, fonctionnels, phylogénétiques, etc… qui donnent aux relations personnelles d’une certaine intensité et de variétés les unes plus désirables et convenables que les autres. Cette base organique des relations personnelles peut s’appeler « le facteur personnel en éducation ».

Dans les pages qui suivent, notre tâche consistera à reconstruire un schéma de ce facteur personnel en éducation, schéma qui pourra servir de base à la discussion des expériences éducatives qui formera la dernière partie de notre étude. Nous n’avons pas comme but de présenter un point de vue nouveau ou de remanier à fond la psychologie individuelle, ce que nous nous proposons d’accomplir est de faire une sélection et un arrangement organique parmi les faits déjà plus ou moins acceptés par les physiologistes, les « behaviouristes » et les psychologues pour aboutir ainsi à une théorie schématique du facteur personnel en éducation. Afin d’éviter des discussions qui nous éloigneraient trop de notre thème central, mais nous nous appuierons librement sur des citations d’auteurs reconnus, tout en laissant du côté les détails. A propos de ce schéma, il est encore important de se rappeler qu’il ne faut pas le prendre dans un sens trop réaliste, son objet étant avant tout de faciliter la vue d’ensemble des faits psychologiques qui peuvent servir de base aux discussions ultérieures plutôt que de substantialiser la personnalité ou de donner à une telle image la fausse apparence d’une réalité qu’elle ne possède pas.

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PREMIERE PARTIE

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CHAPITRE PREMIER

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ESQUISSE PRELIMINAIRE

DU « FACTEUR PERSONNEL »

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Il y a trois attributs du facteur personnel auxquels nous devons arriver par des raisonnements a priori :

  1. qu’il est vivant,
  2. qu’il a un attribut objectif : le corps,
  3. qu’il est capable d’une conduite caractéristique en rapport avec le monde extérieur. On peut dire que la conscience est le principe qui unit ces trois attributs en une expérience centrale.

Nous allons brièvement considérer ces trois attributs l’un après l’autre. La nature de la vie a été le sujet d’une recherche incessante de la part de l’humanité depuis les temps immémoriaux. Les poètes y font allusion et une des définitions admises de la poésie est qu’elle est une « critique de la vie » (Matthew Arnold). La philosophie essaye de l’expliquer en se servant de la logique. La religion, elle repose sur une interprétation plus émotionnelle qu’intellectuelle. La science veut en étudier les phénomènes d’un point de vue objectif. Chaque rapprochement vers l’explication de la nature de la vie a ses propres limitations. Mais l’éducation, n’est limitée par aucun de ces points de vue ; elle aborde le problème de la vie dans le sens le plus compréhensif. La conception de la vie chez l’éducateur doit donc se faire d’une manière très libre, en utilisant les données de ces divers points de vue sans s’arrêter à aucun. C’est une philosophie qui tient à la fois de toutes les branches de la pensée exacte sur  laquelle  l’éducation doit  construire l’édifice de sa théorie. Il y  a  une  nouvelle ([6]) tendance parmi les philosophes modernes de considérer l’abstraction philosophique côte à côte avec l’analogie biologique, essayant ainsi de faire une synthèse des méthodes et des conclusions de la logique et de la biologie. Les philosophes de ce genre sont donc les guides les plus sûrs pour arriver à une conception de la vie pouvant servir à notre étude qui ne prétend pas entrer elle-même dans une discussion détaillée de ce problème. Ce n’est pas une conception purement symbolique qui pourrait nous aider dans notre étude concernant le facteur personnel. La nature de notre sujet demande une conception de la vie qui ne soit ni trop abstraite ou symbolique ni trop concrète puisqu’en éducation nous avons affaire, ainsi que nous l’avons dit, à des élèves qui sont non seulement des êtres vivants dans le sens biologique mais des entités personnelles. Le but de notre effort est de reconstruire une conception qui, tout en étant basée sur des faits biologiques, réponde à notre besoin de concevoir plus clairement ce que sont l’individualité, le caractère, la personnalité. Nous avons dit que la conception philosophique de monsieur Bergson est bien près de satisfaire ce besoin. C’est pourquoi, pour éviter une discussion métaphysique qui nous éloignerait trop de notre sujet nous allons extraire le paragraphe suivant de l’Evolution créatrice (p. 109) :

Après avoir déclaré que la croissance et la division sont l’expression de vie la plus élémentaire observée dans le protoplasme, il continue : « les causes vraies et profondes de division étaient celles que la vie portait en elle. Car la vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe créant, par le seul fait de sa croissance, des divisions divergentes entre lesquelles se partagera son élan. C’est ce que nous observons sur nous-même dans l’évolution de cette tendance spéciale que nous appelons notre caractère. Chacun de nous, en jetant un coup d’œil rétrospectif sur son histoire, constatera que sa personnalité d’enfant quoique indivisible, réunissait en elle des personnes qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant : cette indécision pleine de promesses est même l’un des plus grand charme de l’enfance. Mais les personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et, comme chacun de nous ne vit qu’une vie, force lui est de faire un choix. Nous choisissons en réalité sans cesse, et sans cesse aussi nous abandonnons beaucoup de choses. La route que nous parcourons dans le temps est jonchée de tout ce que nous commencions d’être, et de tout ce que nous aurions pu devenir. Mais la nature qui dispose d’un nombre incalculable de vies n’est point astreinte à de pareils sacrifices. Elle conserve les diverses tendances qui ont bifurqué en grandissant. Elle crée avec elles des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément ».

Ne nous arrêtons pas à discuter les bases scientifiques de cette image : cela nous éloignerait trop de notre sujet. Nous nous contenterons d’en admettre les vérités générales, d’en glaner es points que voici et de les souligner en rapport avec notre étude.

La vie est une tendance ; elle s’exprime par la croissance et la division. Les dernières phases de la vie se caractérisent par des tendances divergentes tandis que les premières se caractérisent par des tendances convergentes. Le temps est la base sur laquelle la vie trace son cours. Les traits essentiels peuvent en être représentés graphiquement par la figure ci-dessous.

B

Présent

Passé

Futur

A

O

O représenterait l’organisme à n’importe quel moment donné.

A et B indiqueraient les deux états d’un organisme, dans le passé et le futur respectivement.

Les flèches représenteraient les directions divergentes qu’un organisme a à sa disposition.

Comme un corollaire naturel à ce que nous avons dit, il s’ensuit que la direction choisie est une résultante de bien des tendances agissant sur l’organisme. Les flèches pointillées indiqueraient donc les tendances virtuelles contenues dans l’organisme sous la forme de tendances résultant du passé.

Cette conception de la vie a ses propres limitations : elle ne peut atteindre les cas particuliers ou les aspects concrets de l’expression de la vie de la personne. La base concrète de la vie individuelle est le corps qui nous amène ainsi au second attribut du facteur personnel.

Pour apprécier correctement la place qu’occupe la vie ou fonctionnement physique en rapport avec le facteur personnel, il nous faut discuter ici des relations entre la vie physiologique et la vie psychologique. M.E.H. Starling, de l’université de Londres, dans son traité « Principles of Physiology » (p.486 3° édition), écrit à ce sujet :

« Comment  les processus physiologiques excitants dans les fibres nerveuses avec leur phénomène concomitant chimique et électrique sont-ils capables, à leur arrivée au cerveau, d’exciter une sensation consciente, nous ne pouvons pas le décider ou même le discuter parce que nous avons affaire à des processus de deux ordres différents. Nous n’approcherions jamais de la solution de ce problème même si nous étions capables de suivre tous les événements qui se passent dans le corps comme étant le résultat d’un stimulant quelconque donné à la surface…. Aucune sensation n’est le produit immédiat et unique d’un stimulant donné au bout périphérique de la fibre nerveuse mais la sensation la plus simple inclut un jugement, c’est-à-dire des activités neurales complexes résultant des innombrables courants passés et présents provoqués par des événements périphériques et qui sont versés dans le système nerveux central…. Comme nous l’’avons déjà vu, la fonction primitive du système nerveux est la réaction. La vie neurale de l’animal se compose d’une série de réactions, les unes simples, les autres complexes et devenant de plus en plus compliquées à mesure que nous remontons l’échelle animale évolutive. Les premières réactions d’un bébé sont celles par lesquelles il se procure de la nourriture et satisfait un besoin ; même la toute première à l’éveil de sa conscience ne sera pas une sensation de douceur ou  de couleur mais d’une chose pouvant satisfaire ses besoins…. Une unité élémentaire, dans la vie psychique comme dans la vie neuronale, doit être une réaction complète. C’est de la réaction et non de la sensation qu’une psychologie constructive devra s’élever ».

Réservant pour une considération plus détaillée la nature de ces réactions, nous ne noterons ici que quelques-uns des faits préliminaires tirés de l’extrait ci-dessus :

1° que le stimulant externe et la sensation appartiennent à deux ordres différents ;

2° que la sensation la plus simple comprend des activités neurales complexes qui sont les résultats d’innombrables courants passés et présents provoqués par des éléments périphériques et versés dans le système nerveux central ;

3° qu’une réaction complète ([7]), résultant d’un jugement et non pas seulement d’un stimulant, est à la base de l’expression de la vie, que cette réaction, qui satisfait invariablement un besoin biologique, touche au futur en même temps qu’elle est déterminée en son caractère par les habitudes passées du système.

Nous pouvons donc résumer en disant en termes plus généraux que la conversion d’une habitude passée, par un jugement présent, afin de pourvoir à un besoin biologique futur, est la fonction centrale de la vie neurale. Nous voyons ainsi que l’examen des aspects concrets de la vie physique nous amène vers les mêmes traits essentiels qui sont à la base du « facteur personnel ».

De la fonction  physiologique à la conduite ou comportement, il ya une transition naturelle. Qu’est-ce que la relation entre le comportement et  l’individu ? Voila la question qui se pose maintenant. A ce propos, les nouvelles théories « behaviouristiques » du Dr J.B Watson prennent une signification spéciale. Les « behaviourists » ne croient pas qu’il y ait besoin d’assumer l’existence de la pensée comme opposée à la parole ou au comportement. Cette conviction n’est que le résultat naturel d’une autre attitude importante du « behaviourist » : que les faits les plus certains sont ceux qui sont publiés et peuvent être confirmés par le témoignage de plusieurs observateurs ([8]).

Un examen attentif de ce point de vue nous révélerait que le « behaviouriste » diminue l’importance des effets des réactions passées qui persistent dans le comportement actuel et l’affectent sous la forme de ce que Bertrand Russel appelle « effets mnésiques » qui sont à la base de la mémoire (Outline of Philosophy, p.306). Les émotions et les sentiments subtils devraient être exclus si nous devions nous limiter au strict point de vue du « behaviouriste ». L’éducation, comme le mot lui-même l’indique, a à faire en premier lieu avec la mémoire et avec les aptitudes naturelles ([9]). Le facteur personnel en éducation se rapporte donc davantage aux « effets mnésiques » du passé qu’aux conditions présentes. Même la connaissance de la loi des « réactions apprises » ou même l’explication donnée en termes de « réflexes conditionnels » ne peuvent pénétrer que superficiellement les caractères du « facteur personnel ». Les « behaviouristes » ont sans doute raison de vouloir donner une base scientifique plus stricte aux recherches pédagogiques. Tout en acceptant la valeur disciplinaire de la pensée psychologique on doit admettre que le praticien de l'éducation a besoin pour son travail de tous les jours d’une conception complète de l’individu. Quand M.J.B. Watson va jusqu’à dire que les « behaviouristes » croient « qu’il n’y a pas quelque chose d’inné à développer » (Cf.p.41, Psychological Care of Infant and Child Norton, New-York, 1928) l’éducateur qui cherche une base pratique pour sa conception de l’individu, est obligé de lui fausser compagnie parce qu’une telle position implique qu’on regarde l’enfant comme une sorte de mécanisme « stimulus-réponse » qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut ipso facto, laisse de côté toute la question de conscience sans laquelle toute conception de l’individu reste incomplète et inadéquate pour les besoins éducatifs.

M. Watson lui-même, dans son livre « psychology from the standpoint of a behaviourist », nous donne des indications assez décisives sur les limitations et la qualité unique de son point de vue. Son point de départ même est une limitation du champ de l’horizon psychologique. Il écrit dans la préface : « Until psychology discards everything which cannot be stated in the universal terms of science, she does not deserve a place in the sun”. Les limitations du point de vue “behaviouriste” nous apparaissent plus clairement à mesure que nous examinons de plus près comment le “behaviouriste” envisage des phénomènes comme les rêves, les émotions. M.Watson n’écrit-il pas à propos des rêves « qu’ils font partie de la totalité des réactions d’une personne… ; qu’ils sont des « word reactions » mais qu’ils n’ont pas les réactions isolées du type qui produit une simple contraction musculaire…etc…(p.209, Psychology from the standpoint of a Behaviourist). De telles confessions et indications suffisent à démontrer à une personne sans préjugé que les « behaviouristes » cherchent surtout une nouvelle orientation de la pensée psychologique pour la placer sur une base scientifique plus ferme plutôt qu’une révision de nos idées psychologiques. Les limitations du point de vue « behaviouriste » nous apparaissent maintenant plus clairement, mais il va sans dire que le pédagogue, affranchi des préoccupations de la psychologie pure, doit avoir la liberté de formuler ses méthodes et ses principes sans devoir s’inquiéter du point de vue spécial pris par une école de psychologie quelconque. Ainsi de la pensée « behaviouriste » qui nie la pensée subjective, nous sommes obligés de revenir à une position plus simple d’après laquelle nous rattacherons le comportement non seulement aux conditions d’un monde extérieur, mais aussi à des processus subjectifs d’ordre mental.

C’est à ces processus d’ordre mental que nous avons déjà fait allusion en parlant de l’aspect physiologique du facteur personnel et nous avons remarqué que la satisfaction d’un besoin est la clé de la vie neurale. La même règle, dans un sens plus étendu, peut servir à l’explication du comportement des êtres vivants, y compris  l’homme. Le besoin et sa satisfaction nous donneront les bases sur lesquelles nous pourrons analyser le comportement dans ses parties composantes. Chaque comportement renferme des phases subjectives et des phases objectives et chaque unité d’activité a son propre caractère d’après une prédominance de subjectivité ou d’objectivité. Si nous suivons la succession des activités dans la chaine du comportement naturel, nous découvrons que chaque activité prend naissance subjectivement des dispositions innées acquises dans le passé.

Ainsi commençant dans les dispositions innées du passé dans sa première phase, il se dirige vers un objet ou vers l’idée d’un objet dans l’espace appartenant à la sensation ou à la perception. Lorsque cet objet n’est pas à la portée des sens, l’animal substitue, par la mémoire, l’objet désiré dans l’espace : quand l’activité ramène l’animal à la portée de l’objet, la substitution cesse d’être nécessaire. Une image sensorielle coïncide avec l’image substituée : à ce moment finit la première moitié de la chaine des activités. C’est alors que commence la deuxième, la phase de la satisfaction par la cessation d’ «appétit » pour des réalités objectives. Les animaux continuent d’être conscients de l’objet d’une manière bien différente ; l’image ne représente plus le futur mais l’événement passé en rapport avec l’objet ([10]). Ce qui était autrefois idée d’un objet extérieur devient sentiment d’un objet. Ce sentiment, qui est encore lié à « l’espace virtuel » ([11]) se fait de plus en plus confus conduisant à des états subtils instinctifs et émotifs. Et, lorsque l’animal se repose, l’on peut dire qu’il est de nouveau absorbé dans la conscience subjective.

Tous les comportements naturels peuvent être considérés comme présentant les caractéristiques suivantes :

1° qu’ils ont une origine subjective ; que la première phase se rapporte au futur et tend à devenir objective ;

2° qu’ils ont une phase se rapportant à l’immédiat ou l’objectif et le subjectif alternent en une succession imperceptible, étant en contact physique ou mental avec des objets actuels qui satisfont un besoin ;

3° qu’ils ont une phase se rapportant au passé qui conduit de nouveau à des états subjectifs instinctifs ou émotifs complétant ainsi un cycle d’activités ([12]).

Comme nous l’avons déjà dit, nous sentons la vie en nous-mêmes dans la conscience. La nature de la conscience avec le « facteur personnel » : voilà ce que nous allons brièvement discuter maintenant.

Des doutes raisonnables se sont élevés quant à l’existence de la conscience elle-même William James fut l’un des premiers à nier son existence et à spécifier qu’elle était une fonction et non pas une entité. Bertrand Russel est d’accord avec lui quand il dit « qu’aucune occurrence mentale, dans sa propre nature intrinsèque, n’a cette sorte de caractère relationnel qui était impliqué dans l’opposition de l’objet et du sujet ou du connaisseur et du connu » (Outl. Of phi., p.225).

Lorsque nous concédons, au dire de ces philosophes, que la conscience n’existe pas d’après la logique stricte, même alors, le mot conscience signifie encore quelque chose que chaque personne peut éprouver. Cependant que la logique empirique peut être une non-entité du point de vue d’un idéaliste ou d’un rationaliste, elle peut être considérée comme la seule chose qui existe. Entre ces deux extrêmes, il est nécessaire d’arriver à un compromis sur lequel nous pouvons baser les principes actifs pratiques. Une définition de la conscience combinant en elle-même les points de vue du rationalisme et de l’empirisme se trouve encore chez Bergson. Il écrit : « on définirait la conscience de l’être vivant, une différence arithmétique entre l’activité virtuelle et l’activité réelle. Elle mesure l’écart entre la représentation et l’action », l’évolution créatrice p.157).

Que cette définition soit juste ou non dans tous ses aspects, elle nous montre cependant la nature essentielle de la conscience et nous pouvons en extraire les points suivants :

1° La conscience dépend de l’activité de l’être vivant ;

2° Cette activité revêt des aspects subjectifs et objectifs : subjectifs qui se rapportent au passé, objectifs qui se rapporte au présent ou à l’avenir.

Une représentation graphique des conclusions de ce chapitre nous aidera à condenser les faits essentiels que nous avons essayé d’expliquer séparément.

Dans la figure ci-dessus, X’OX représenterait la conscience subjective, Y’OY les axes subjectifs appartenant aux stimulants et à leurs réponses dans le présent. Ces éléments de la conscience qui se rapportent au passé de O à X’ indiqueraient « l’arrière plan de la conscience » et les éléments de O à X indiqueraient la conscience en rapport avec la volition. O représenterait n’importe quel moment donné du centre de la conscience. Une distance d’un point de l’axe Y représenterait le degré d’objectivité d’un événement dans la conscience personnelle : la courbe O A O B O nous montrerait une chaine complète du comportement naturel.

(voir plus loin pour une justification détaillée de ce plan).

CHAPITRE II

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LES TENDANCES PERSONNELLES

ETUDIEES DANS LA ZONE PHYSIQUE

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Dans le chapitre précédent, nous avons essayé seulement de donner une esquisse préliminaire du « facteur personnel » afin de former un nucléus pour une élaboration et un examen plus détaillé. Dès le début, nous pouvons faire deux divisions : premièrement le facteur personnel révélé par le comportement de la personne dans ses relations avec les objets extérieurs aux limites du corps, et deuxièmement son aspect révélé dans les limites du corps lui-même. Dans ce chapitre, nous allons nous confiner à la seconde de ces subdivisions et voir si des particularités du fonctionnement ou des tendances à l’activité des différents organes, leurs relations entre eux et tel autre fait peuvent nous aider en quoi que ce soit à apercevoir le principe fondamental à la base du concept de la personne.

Même en proposant cette ligne d’investigation, nous pouvons être accusé d’établir facilement une relation psycho-physique. Mais cette accusation ne pourra se soutenir raisonnablement si nous rappelons que par « facteur personnel » nous n’entendons ni le corps ni l’esprit. Nous nous en référons seulement aux tendances, au comportement ou au fonctionnement, tendances qui ne sont ni mentales ni matérielles. Il n’est pas possible d’entrer ici dans une discussion détaillée de la philosophie qui se trouve à la base d’une telle position. Nous nous contenterons d’une citation de Bertrand Russell pour montrer que la position que nous avons prise est conforme aux notions de la philosophie moderne. Il conclut son récent ouvrage philosophique en ces termes : « l’opinion que j’ai avancée est que l’esprit et la matière sont tous deux des structures composées de quelque chose de plus primitif qui n’est ni mental ni matériel. Cette philosophie est appelée le Neutral Monism ". Ce point de vue étant admis, il n’est plus nécessaire d’assumer une interaction psycho-physique ou parallélisme. Il devient inutile de prendre le parti soit du monisme physique soit du monisme psychique.

Si nous examinons n’importe quel organisme unicellulaire ou multicellulaire, nous voyons que tandis que ce qui concerne les parties périphériques exprime des ajustements à l’environnement d’un caractère temporaire, ce qui concerne les organes situés plus centralement exprime des changements touchant plus intimement au cycle total de vie de l’organisme en question. Dans l’amibe, par exemple, le protoplasme peut changer ou même être atteint sans que la vie de l’animal en soit vraiment affectée. Toute impulsion périphérale doit atteindre le système nerveux central chez les animaux multicellulaires et le sang arriver au cœur, révélant ainsi le principe de la centralisation ([13]). La peau reçoit des impulsions du monde extérieur, mais ce n’est qu’une impulsion procédant du centre à la périphérie qui puisse permettre à l’organisme de s’adapter. Ces adaptations, qui sont plus permanentes et appartiennent à la partie innée plutôt qu’à la partie acquise de l’organisme, prennent place comme « organisations intérieures ». En d’autres termes, l’aspect d’adaptation d’un organisme est localisé à la périphérie tandis que l’aspect d’organisation tend à rester central ([14]).

La centralisation est-elle physique ou psychique ? Voila la question qui se pose à nouveau. La réponse sera la même que celle que nous avons donnée précédemment. Qu’il y ait une sorte de fusion physique, cela est suffisamment indiqué par la réunion d’impulsions nerveuses au centre de la matière grise ([15]). La centralisation psychique appartient à un tout autre ordre. De même que la forme de l’aimant n’est pas directement en rapport  avec les effets magnétiques et que la lumière de la lampe électrique n’est pas directement reliée aux arrangements des fils, de même est-il possible de concevoir la centralisation physique comme appartenant à un ordre distinct de la centralisation psychique. Néanmoins, l’on peut dire qu’à la base de la « fusion » physique et psychique se trouve le même principe fondamental de centralisation.

Le fonctionnement est caractérisé par un autre trait qui prend, comme nous l’avons déjà mentionné, une importance plus grande en rapport avec cette étude et c’est ce que nous appellerons le phénomène de la polarisation. Quoique cette polarisation soit assez bien reconnue dans le domaine psychologique, théorique surtout, sous le nom « d’ambivalence » ([16]) de laquelle nous parlerons tout prochainement, cette conception est loin d’être incluse dans la discussion pratique des phénomènes physiologiques. Il est difficile, dans cette étude qui est principalement de caractère pédagogique, d’entrer dans une discussion détaillée de cette question de la polarisation des tendances révélées dans le fonctionnement physiologique ([17]). Nous nous contenterons donc de nous en référer seulement à un ou deux faits qui semblent soutenir cette idée.

C’est un fait assez bien reconnu et les écrivains ont souvent employé le concept d’un rythme dans le fonctionnement organique. Mais l’étude de ce rythme est encore dans un stade initial. Cependant, c’est une conception de cette alternance rythmique qui nous aidera à voir le phénomène de la polarisation dans le fonctionnement  physique. Par exemple, si l’une des moitiés du cycle rythmique du fonctionnement s’oppose    à l’autre moitié, il nous sera possible de constater qu’à la base de cette opposition se trouvent des tendances qui elles aussi sont opposées. Cette observation formera la base concrète qui nous révélera le principe de la polarisation. Mais il n’est pas seulement suffisant d’observer cette opposition dans le fonctionnement d’un organe ou d’un système, il nous faut encore découvrir un mode acceptable nouveau de groupement des systèmes, mais qui nous viendra en aide dans notre étude scientifique de la polarisation. C’est seulement alors qu’une généralisation sera justifiée. Mais n’allant pas jusque là, nous essayerons seulement d’étudier l’un des fonctionnements, celui du cœur, lequel pour le moment, représentera pour nous, d’une manière générale, le modèle de tous les fonctionnements. (Plusieurs écrivains ont déjà établis cette comparaison. Par exemple Dr L Berman, dans son livre «  The Gland  Regulating Personnality », parle du rythme qui caractérise le fonctionnement des chaines des glandes sexuelles et se sert du terme d’un sex-diastole de tout l’organisme » après une phase d’activité employant ainsi la métaphore du fonctionnement du cœur.

Le caractère cyclique et l’alternance rythmique sont clairement marqués dans le fonctionnement du cœur. L’une des moitiés de ce cycle est caractérisée par la contraction active tandis que l’autre est caractérisée par la dilatation passive. Sous bien des aspects, la phase active (systole) s’oppose à la phase  passive (diastole). Chacune de ces phases occupe la moitié de la durée totale du cycle. Dans la période de repos, la première phase est en rapport avec la réparation, le recouvrement des pertes ; la deuxième est en rapport avec la préparation positive pour une action future. Il y a ainsi un changement qualitatif et un changement quantitatif qui marchent de pair. Nous pouvons exprimer grosso modo la nature opposable des deux moitiés du cycle ainsi que les relations entre les différentes phases au moyen d’un graphique comme dans le diagramme ci-dessous en adoptant le même plan que celui que nous avons adopté dans le chapitre précédent.

Il est nécessaire peut-être pour terminer notre courte discussion de la polarisation des tendances du fonctionnement d’ajouter quelques mots d’explication sur l’usage du terme « polarisation ». En premier lieu ce terme implique qu’il ya, appartenant au même ordre de tendances, deux aspects qui sont distincts. Cette différence réciproque  appartenant à deux phases d’une même activité ainsi que nous l’avons vu dans le fonctionnement du cœur. Cette différence présente souvent (quoique pas toujours) un caractère nettement opposable. Mais cette opposition même n’est pas absolue et nous pouvons la qualifier de diphasique, de compensatoire ou de réciproque. Cette relation peut être rendue plus claire par l’analogie de l’aimant dont le pôle positif s’oppose au pôle négatif non pas dans un sens absolu mais dans un sens réciproque ou relatif.

Dans les chapitres qui suivent, nous aurons l’occasion de nous en référer à ce concept de polarisation. Cette idée est basée sur l’assomption que le « facteur personnel » doit être conçu en termes d’activités vitales ou de tendances et que ces tendances manifestées dans n’importe quelle zone de la personne sont capables, dans leur expression la plus naturelle, d’être reliées les unes aux autres par des chaines ou cycles comprenant des phases distinctes. Notre tâche consistera donc à voir jusqu’à quel point les relations entre les différentes phases nous révéleront le principe de la polarisation. Il importe pourtant de se souvenir, à propos de cet exposé, que la relation ou la réciprocité révélée entre deux phases d’activité personnelle dans une certaine zone appartiendrait à un ordre tout autre que la réciprocité dans une autre zone. Donc quoique le même principe doive être recherché dans les cas de chacune des différentes zones, nous sommes loin d’essayer d’établir une relation directe entre les différents modes de manifestation de ce phénomène.

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CHAPITRE III

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LES TENDANCES PERSONNELLES

ETUDIEES PAR RAPPORT AU COMPORTEMENT

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Partant de la considération des relations et des tendances fonctionnelles renfermées dans les limites du corps, nous allons procéder maintenant à l’étude des tendances au comportement que nous avons déjà considérées dans notre étude préliminaire du « facteur personnel » ; et comme nous avons aussi considéré les fondations de la polarisation dans la zone corporelle, nous sommes dans une meilleure position pour faire disparaitre une certaine obscurité qui recouvrait nos premières remarques et pour essayer d’en faire une esquisse plus claire et plus complète.

Est-il possible de diviser la chaine du comportement en deux parties opposables ? Voilà ce qui demande à être examiné de plus près. Le premier point qu’il faut se rappeler est que toute activité se dirige vers un objet utile et désiré. Lorsque l’objet est procuré, le comportement en rapport avec cet objet atteint un état de tranquillité qui n’est qu’apparent. La di satisfaction qui était la force dirigeante principale dans la première phase fait place à l’établissement graduel de la satisfaction. Bergson fait allusion à ces deux phases lorsqu’il dit  (p.321 de l’évolution créatrice) : « Il est incontestable que toute action humaine a son point de départ dans une di satisfaction et, par la même, dans un sentiment d’absence. On n’agirait pas si l’on ne se proposer un but, et l’on ne recherche une chose que parce que l’on en ressent la privation. Notre action procède ainsi de « rien » à « à quelque chose ». Ainsi si nous observons des vaches paissant dans un champ, nous verrons que l’animal, après brouté un moment (ce qui implique des activités sensorielles motrices) se couche invariablement au milieu du troupeau. L’objet qui était jusqu’ici le motif de son comportement n’existe plus pour les sens mais l’aspect affectif de son existence continue d’exercer son influence sur le comportement. L’animal se met à ruminer. Cette seconde phase de l’activité souffre de toute diversion amenée par les sens. Quoiqu’il soit vrai que l’objet n’est plus présent en tant que réalité des sens, nous pouvons dire qu’il est présent dans un sens négatif, c’est-à-dire comme une représentation purement subjective. Il n’est pas nécessaire que cette négation soit une non-réalité de même qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit moins objective en comparaison de la réalité des sens. Sur ce point encore nous pouvons revenir à Bergson qui écrit : « Une fois la négation formulée, elle présente un aspect symétrique de celui de l’affirmation. Il nous semble alors que, si celle-ci affirmait une réalité objective, celle-là doit affirmer une non-réalité également objective et, pour ainsi dire, également réelle » (p.319, Evol.cr). Ainsi, logiquement et philosophiquement, il est sensé de penser que, même après la disparition de l’objet extérieur désiré, l’activité continue en sens inverse se rattachant seulement, l’on peut dire, à l’aspect affectif de l’objet en question. L’état passif affecte les zones intérieures et peut provoquer des émotions de satisfaction et amener des souvenirs indéfinis. Cet état peut être suivi d’un repos plus profond ou sommeil dans lequel la circulation se réduit dans le cerveau. La théorie si connue de James-Langue est en faveur de l’idée que les viscères sont le siège des émotions. Nous réservant plus tard (ch. VI)  d’examiner la vérité de cette théorie, il nous suffira, pour le moment, de constater que les effets de la polarisation peuvent se discerner jusque dans les chaines du comportement et qu’il y a en présence, dans les rapports du comportement avec un objet extérieur, deux phases symétriques opposables qui toutes deux sont également objectives aussi bien que réelles.

Ces deux éléments du comportement en rapport avec un objet extérieur, se combinant de différentes manières, vont produire chez des espèces différentes d’animaux, différentes sortes de chaines de comportement naturel. Nous allons examiner quelques unes de ces chaines afin de nous aider à imaginer de quelle manière l’individualité animale peut être exprimée par ces comportements variés ; nous le ferons aussi pour montrer que quel que soit le type de comportement, simple comme chez les ruminants, plus objectif et avec de brusques transformations comme chez les carnassiers ou plus compliqué et avec des variations subtiles comme chez les animaux plus haut placés dans l’échelle évolutive, nous pouvons toujours distinguer les deux phases principales : l’une dirigée vers l’objet désiré, l’autre se rapportant aux étapes instinctives ou émotives. Il importe donc de saisir ce principe d’alternance pour arriver à comprendre les différentes phases de la vie d’un écolier et la vraie nature des activités compensatrices et complémentaires dont nous parlerons dans un chapitre ultérieur. Dans le cas mentionné précédemment de la vache broutant dans un champ, nous avons remarqué que l’acte de brouter est un acte lent et graduel, sans situation critique. Chez les animaux intelligents et agressifs, tels les carnivores qui chassent, guettent et tuent leur proie, on peut distinguer clairement des moments critiques dans la chaine de leur comportement. La qualité psychique de ces chaines-ci, comparée à celle des ruminants, montre une sorte de variations différentes. Les mêmes principes se retrouvent dans le comportement des animaux domestiques ; dans celui du chien par exemple il est très facile d’observer les variations en qualité. Sur le tapis, près de la cheminée, un chien se repose couché sur ses pattes. N’importe quel son étranger le réveille : ses sens entrent en jeu. La peur ou l’attente le rendent actif, il se met à aboyer. Ses aboiements se font plus forts lorsque l’objet entre dans le champ visuel. Le sens olfactif s’éveille ensuite lorsque l’objet se rapproche davantage. Puis le chien vérifie l’objet au moyen du toucher et va même le lécher au besoin ; l’animal qui semble s’être tranquillisé, cesse alors d’aboyer. L’étranger s’éloignant, l’aboiement reprend jusqu’à ce qu’il se soit retiré loin des cercles successifs de l’odorat, de la vue et du son. Un peu plus tard, avant qu’il ne se calme complètement, l’animal aboiera peut-être à des bruits purement imaginaires pouvant être rétrospectifs ou prospectifs. Cette suite familière est typique chez les animaux placés aux degrés supérieurs de l’échelle évolutive où interviennent une quantité de cycles plus petits d’états affectifs, volitifs, etc.…

Les mêmes cycles se retrouvent dans le comportement du petit enfant. L’enfant s’éveille et les sens entrent en jeu. L’activité musculaire suit ce qui provoque l’appétit. L’enfant se met à manger. Même durant le processus de prendre la nourriture, les sens tombent dans une certaine torpeur. Les sons caressants de la voix de la mère bercent l’enfant : ils forment, si l’on peut dire, le medium de « rapport » entre celui-ci et celle-là. Ce rapport continue jusqu’à ce que la satisfaction soit convertie en états instinctifs de repos ou sommeil et c’est avec la plus grande précaution que la mère s’éloigne du berceau. La première et la dernière phase de cette série d’activités montrent clairement une opposition. Le comportement naturel présente donc deux phases alternantes et opposables. Nous arrivons ainsi à une caractéristique importante des activités du comportement en général : celle de l’alternance. Venant de sources différentes, nous pouvons recueillir d’autres évidences qui confirment ce phénomène. L’étude de l’expression chez un bébé qui commence à ouvrir les yeux à ce qui se passe autour de lui nous montrera un phénomène curieux : l’enfant vous reconnait et vous sourit ; puis si vous continuez de l’observer, vous verrez que l’expression de joie se transforme en une expression de tristesse. L’enfant aura les mêmes réactions envers des visages inconnus ou  de nouveaux objets.

La psychologie moderne reconnait suffisamment le fait que même de simples activités vitales telles que la sensation et la perception comprennent une alternance d’aspects subjectifs et objectifs. L’idée de la sensation « pure » commence à être considérée comme un mythe appartenant à une école de « psychologie académique » tombée en désuétude. Monsieur le professeur  Edouard Claparède, au cours d’une conférence psychologique, mentionne l’alternance que nous éprouvons lorsque nous appuyons la main sur la table. Un moment, nous sentons la présence de la table, un moment la présence de la main. Nous pouvons en fait, noter cette alternance dans chaque forme d’activité naturelle, de la sensation simple aux chaines du comportement continu, comme celui que nous venons d’étudier.

Le fait que tous les psychologues, dans leurs théories sur la suite des activités, reconnaissent le phénomène de l’alternance le confirme ainsi que nous le montrera l’examen de la table suivante établie par Monsieur le professeur Ed. Claparède (Witterberg Symposium on feelings and emotions, Clark University Press, p.133):

Théorie classique : Perceptions – émotions – réactions organiques.

Théorie James –Lange : perceptions – réactions organiques – émotions.

Théorie périphérique modifiée : perception – attitude de fuite – sentiment de danger – réactions organiques – émotion.

Fuite sans émotion : perception – attitude (de fuite) – sentiment (de danger) – fuite.

Nous voyons ainsi que des observations aussi bien que des considérations théoriques nous amènent à l’idée que toute chaine de comportement naturel peut se diviser en deux moitiés opposables : l’une en rapport avec le pôle positif, l’autre en rapport avec le pôle négatif.

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CHAPITRE IV

LES TENDANCES PERSONNELLES EN RAPPORT

AVEC DES CAS SPECIAUX DE COMPORTEMENT

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Jusqu’à maintenant, nous nous sommes limités au fonctionnement et aux comportements normaux en rapport avec un objet d’intérêt naturel. Nous avons essayé de remonter aux principes essentiels qui sont à la base du fonctionnement et du comportement. Mais, nous devons l’admettre, notre esquisse demande à être éclairée sur plusieurs points. L’obscurité recouvre surtout ce que nous avons essayé de distinguer comme étant le fond de la personne, ce qui comprend les activités instinctives ou virtuelles appartenant aux effets « mnémiques » du passé. Ainsi qu’il est nécessaire de creuser la terre pour exposer les racines d’un arbre, nous sommes obligés, pour rendre cet aspect un peu plus clair, d’étudier le fonctionnement et le comportement en relation avec des objets spéciaux ou en relations spéciales avec des objets.

Le phénomène suivant du comportement est mentionné par Payot dans son « Education de la Volonté », p. 38 :

« Avant l’aube, je me trouvais traverser un névé rapide dont le fond disparaissait dans l’obscurité. Je glissai. Je ne perdis pas un instant la tête. J’avais conscience de ma situation critique et une vue nette du danger. Je parvins, tout en pensant que j’allais me tuer, à ralentir, puis à enrayer ma course, cent mètres plus bas. Très calme, je traversais lentement le névé en m’aidant de mon alpenstock et une fois en sûreté dans les rochers, définitivement sauvé, je fus (peut-être ne cause de l’épuisement provoqué par des efforts excessifs) pris d’un tremblement violent. Mon cœur battit, mon corps se couvrit d’une sueur froide, et seulement alors j’éprouvai une peur, une terreur extrême. En un instant la vue du danger devint sentiment du danger ». Cet exemple et bien d’autres, d’un comportement spécial, jettent de la lumière sur la nature du phénomène de la polarisation et de l’alternance que nous avons étudié dans les chapitres précédents.

L’étude des états spéciaux de satisfaction et de repos de l’organisme nous montrera plus clairement la nature des activités en rapport avec les aspects affectifs de la vie psychique. Prenons, par exemple, le cas de la satisfaction qui suit l’absorption d’une « nourriture » spéciale telle que l’alcool et l’opium. L’alcool non seulement satisfait l’appétit mais procure un sentiment de confort à la personne qui le prend. Mc Dougall parle de l’alcool et de son « attraction » presque universelle, c’est-à-dire du sentiment de bien-être insouciant ou de « confort physique et mental » qu’il procure. Ainsi nous sommes amenés à croire que certaines sortes de nourriture, non seulement sont capables de produire la satisfaction, mais sont aussi capables de stimuler le sentiment de confort et, ce qui est plus, les activités virtuelles. Ces activités sont objectives encore en ce qu’elles dépendent d’un objet (l’alcool, par exemple, dans le canal alimentaire). Ainsi nous pouvons observer, dans le comportement d’une personne intoxiquée, la nature des activités virtuelles dont nous avons déjà parlé. Dans le de l’alcool, ces activités grossissent, mais leur nature reste la même comme nous le voyons dans le cas des états instinctifs de repos qui suivent le repas.

Ces états instinctifs de repos nous révèlent plus clairement la vraie nature des activités virtuelles surtout lorsque nous étudions la nature d’états de repos plus profonds tels que le sommeil. Le premier des faits que nous pouvons faire ressortir sur la nature du sommeil est que loin d’être un état d’inactivité, il représente vraiment une activité « positive ». Rivers, par exemple, se plaint de ce que les psychologues « omettent de reconnaître que le sommeil est plus que la négation de l’activité psychologique et que, bien à part de la production des rêves, le sommeil a un caractère d’une espèce positive » ([18]). Quoique les sens deviennent indifférents, la sensibilité générale continue de fonctionner de même qu’une température agréable, se répandant surtout dans les membres inférieurs, est importante pour amener le sommeil. La détente des muscles suit à mesure que le sommeil s’établit. Et durant le sommeil, l’aspect affectif ou relationnel de l’activité personnelle continue ainsi que nous le montre l’étude de la nature des stimulants du réveil. Rivers cite le cas d’un docteur que réveille le mouvement du cordon de la sonnette qui précède le son et celui de la mère répondant au moindre bruit de son enfant, et attire l’attention sur le fait que les stimulants du réveil semblent être spécialement effectifs quand ils entrent en rapport étroits avec l’état affectif de la personne endormie. Il conclut en disant que « le sommeil, en fait, est un instinct relié à l’instinct de l’immobilité » ([19]). L’on reconnaît aussi que l’état de sommeil est relié à l’hypnotisme, au processus de la suggestion. Le Dr Claparède dit « que ce n’est pas parce que nous sommes intoxiqués ou épuisés que nous dormons, mais que nous dormons pour ne pas l’être » ([20]). Quand le sommeil est accompagné d’activités représentatives, rêves et cauchemars, l’opposition symétrique entre « l’acte ouvert » et l’activité du sommeil apparaît plus clairement surtout à la lumière des études du docteur Horton qui attribue aux sensations cinesthétiques et viscérales une grande influence sur les rêves. En traçant la courbe du comportement ainsi que nous l’avons fait à la fin du chapitre I, nous avions donc raison de placer la chaîne du comportement ouvert ou actuel ([21]). La symétrie se fait plus marquée lorsque nous reconnaissons avec le professeur Claparède que le « sommeil est la conséquence d’une activité fonctionnelle d’une nature continue qui demande, pour être initié, une énergie plus considérable que pour continuer une fois l’impulsion donnée… ». Si, dans l’activité réelle, la crête est marquée par l’effort pour atteindre un objet, le bas de la crête est marqué par l’effort virtuel qui tend à amener l’état de repos.

Nous avons essayé, en différentes parties de notre discussion, de rendre claire notre courbe représentant le comportement (fin du chapitre I, p. 25). Ce que la courbe indique nécessite une explication concluante que nous essayons de donner ici. Chaque point de la courbe ne représente que la qualité psychique de l’activité. Il nous faut distinguer deux éléments lorsque nous parlons de mouvement. Cette distinction, Bergson la fait ressortir quand il dit « qu’il y a deux éléments à distinguer dans le mouvement » :

l’espace parcouru et l’acte par lequel on le parcourt, les positions successives et la synthèse de ces positions ; le premier de ces éléments est une quantité homogène ; le second n’a de réalité que dans notre conscience ; c’est comme on le voudra une qualité ou une intensité ». (Bergson. Réflexions, Paris, p. 18). C’est la dernière qualité que nous considérerons. Cette qualité psychique peut être analysée plus complètement comme étant déterminée par les trois paires d’éléments opposables ci-dessous :

actualité                                  virtualité

objectivité                               subjectivité

caractère prospectif                         caractère rétrospectif

De telles qualités psychiques sont à la base de la conception des tendances et ont été reconnues comme telles par les psychologues. A ce sujet, voyez la description suivante de Ribot (Traité de psychologie, Georges Dumas, tome I, Félix Alcan, 1923, p. 429) :

Qu’est-ce donc qu’une tendance ? « La seule idée qu’on puisse se faire des tendances, c’est, dit Ribot (172), de les considérer comme des mouvements (ou arrêts de mouvements réels à l’état naissant), … un besoin, une inclination, un désir impliquant toujours une innervation motrice à un degré quelconque ». Puis il ajoute pour rendre plus claire cette définition : « Le carnassier qui a saisi sa proie avec ses dents et ses griffes a atteint son but et satisfait ses tendances à l’aide d’une dépense considérable de mouvement. Si nous supposons qu’il ne tient pas encore sa victime, mais qu’il la voit et la guette, tout son organisme est à l’état de tension extrême, prêt à agir ; les mouvements ne sont pas réalisés mais la plus légère impulsion le fait passer à l’acte. A un degré plus faible, l’animal rôde, cherchant des yeux et de l’odorat quelque capture que le hasard lui amènera ; c’est un état de demi- tension ; l’innervation motrice est beaucoup moins forte et vaguement adaptée. Enfin, à un degré plus faible encore, il est en repos dans sa tanière ; l’image indécise d’une proie, c’est-à-dire le souvenir de celles qu’il a dévorées, traverse son esprit ; l’élément moteur est très peu intense à l’état naissant et il ne se traduit par aucun mouvement visible. Il est certain qu’entre ces quatre degrés il y a continuité et qu’il y a toujours en jeu un élément moteur, avec une indifférence du plus ou moins ». Notre courbe ne représente que de tels cycles de changements dans la tendance personnelle.

Le sommeil est un état d’absorption subjective dans lequel le comportement se limite aux zones du corps. Mais, même là, études et expériences ont mis à jour un mouvement, une oscillation entre les deux pôles psychiques que nous avons mis en avant. Des expériences ont démontré le fait que des personnes saines dorment profondément pendant les deux premières heures environ ; puis le sommeil se fait plus léger pendant un certain temps et, de nouveau, s’alourdit. Le premier sommeil est différent en qualité psychique du dernier sommeil ou sommeil du matin. Une coloration affective prédomine dans le premier tandis que dans le dernier les rêves tendent à être plus clairs. Vers le matin, les impressions sensorielles ont l’effet de réveiller plus facilement la personne endormie. Le sommeil du milieu est sans rêves. Tous ces faits nous démontrent que, dans des états subjectifs comme le sommeil, il y a un va-et-vient entre les deux pôles.

L’état hypnotique est relié au sommeil, c’est pourquoi l’étude de l’hypnotisme nous aidera à voir plus clairement l’opposition entre les deux pôles de la vie psychique. Rivers dit ([22]) : « Nous assumons avec une certaine confiance que le sommeil est un état allié de celui de l’hypnotisme et qu’il a quelque analogie avec le processus de la suggestion ». Mc. Dougall conclut en disant ([23]) : « L’on peut dire qu’un profond état hypnotique typique est un sommeil modifié par le rapport établi entre le patient et l’opérateur ». Se basant sur des expériences faites sur lui-même, il mentionne un degré d’hypnotisme « où se manifeste une certaine division de la personnalité, un conflit d’une partie contre l’autre : les muscles d’un groupe obéissant à une partie, le sujet conscient et voulant ; les muscles antagonistes obéissant à quelque autre partie qui comprend et favorise les commandes et les suggestions de l’opérateur ». La partie soumise à l’influence de la suggestion est essentiellement opposée en caractère à la partie soumise à la volonté. Cela est confirmé par le phénomène de ce qu’on appelle « hallucinations négatives » (3), hallucinations qui se manifestent au degré le plus profond de l’hypnotisme. Le fond de la personnalité est donc définitivement opposé de toute façon au champ de l’intelligence prospective de la personnalité. Si nous appelons la première positive, il s’ensuit que la seconde est négative. Ainsi des évidences psychologiques et physiologiques nous amènent à conclure que les activités sont le résultat de tendances opposables centralisées.


CHAPITRE V

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LA PLACE DES EMOTIONS

DANS LE SCHEMA DU « FACTEUR PERSONNEL »

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La vie personnelle est déterminée par les états émotifs et la pensée réfléchie présente toujours un côté affectif. La conception du facteur personnel serait donc incomplète si nous ne considérions la place des émotions dans le schéma de la vie personnelle. Les états émotifs appartiennent à des états subjectifs qui s’expriment très peu dans le comportement extérieur. Nous atteignons ainsi une zone du facteur personnel dans laquelle les méthodes expérimentales n’ont pas encore beaucoup de valeur et même où les expériences faites jusqu’ici sont susceptibles d’interprétations différentes. En traitant de la question des émotions nous sommes donc obligés de nous baser sur les opinions des psychologues expérimentés, a propos de leur nature et surtout de leur motus vivendi. Aussi nous contenterons-nous d’examiner  la tendance générale des opinions des psychologues modernes qui viendra projeter un peu de lumière sur les attributs émotifs du facteur personnel.

Cette question nous amène à la théorie si connue de James-Lange, qui depuis qu’elle a été formulée, a causé de tels orages dans l’opinion et donne lieu à bien des controverses. James résume ses vues de cette manière : « Les changements corporels suivent directement la perception du fait excitant et le sentiment de ces mêmes changements lorsqu’ils se produisent, est l’émotion ». Les investigations qui ont été faites depuis que cette théorie a été formulée, n’ont pas changé la position originale d’une manière radicale. D’autre part, Cannon  a découvert, par l’emploi des rayons X, que la peur ou la colère sont accompagnées d’une prompte cessation du mouvement de l’estomac comme aussi d’un arrêt du suc gastrique. Woodworth tend au même point de vue et il fait allusion à « la série la plus curieuse de faits que les physiologistes ont récemment ajoutés à notre connaissance de l’état émotif, faits qui concernent la participation de deux petites glandes adjointes au système du sympathique, les glandes surrénales ». Des théories et des faits plus récents encore se sont accumulés, et à l’ouverture de la conférence psychologique consacrée à la discussion de la question de « sentiments » et des « émotions », le professeur Bentley nous donne un résumé de notre position présente à l’égard de la question des émotions. Il dit : « Les émotions sont sujet à discussion…Comme fonction physiologique, elles sont en rapport avec les formes variées de l’action. Elles ont un commencement, une durée, une fin. Elles devraient être décrites en termes de leur commencement, de leurs états successifs et de leurs résultats… Pour un autre psychologue, les émotions veulent dire produits glandulaires et instincts viscéraux : à un troisième elles signifieront une action autonome du système nerveux ou bien un type d’activité physique ou du comportement ou encore la réaction plaisante ou désagréable produites par des événements ou un état mental ». Les émotions peuvent être définies d’une autre manière encore comme étant la qualité de l’excitation qui accompagne l’opération d’un instinct ou une sorte de poussée qui stimule l’organisme et le rend actif, ou encore comme étant une certaine espèce de stimulants » ([24]).

Parmi les autres opinions exprimées à cette conférence et qui ont une valeur spéciale en rapport avec notre sujet, voici celle du Dr Caparède : « L’émotion est la conscience de l’attitude globale de l’organisme…la conscience d’une forme, d’une gestalt ».

Il ressortirait de toutes ces théories que bien que beaucoup aient pris part aux funérailles imaginaires de la théorie James-Lange, ses aspects principaux restent intacts : c’est-à-dire que les émotions sont reliées davantage aux viscères qu’à toute autre partie du corps humain. A la lumière du phénomène de la polarisation dont nous avons discuté et de la direction générale des opinions ci-dessus, il nous est facile de voir que les émotions appartiendraient à un pôle différent de celui de l’intelligence et même qui lui serait opposable. Un examen des différentes vues nous aidera à glaner, au profit de notre étude, les traits suivants de la vie émotive.

1. Les émotions représentent un aspect global ou synthétique de l’activité du facteur personnel. Elles sont reliées aux états instinctifs ([25]).

2. L’activité émotive tend à se séparer de la volition et à se rattacher au pôle opposé. C’est pourquoi elle aurait un effet préjudiciable sur le fonctionnement propre de l’intelligence. Ribot le dit dans son « Essai sur les passions » (p.28). On a remarqué que les sentiments à forme déprimante comme la tristesse et l’émotion tendre produisent un ralentissement du processus associatif et une augmentation du temps nécessaire pour qu’il se produise ». même dans les passions, que Ribot distingue des émotions et qui appartiennent davantage au pôle intellectuel, il reconnait l’indépendance à l’égard du raisonnement. Prenant le cas de l’amour comme étant un exemple typique, il dit (Essai, p.40) : «  le raisonnement est extérieur à la passion ; il est à ses ordres, au service du désir qui en est l’élément essentiel ; il est un facteur auxiliaire, non intégrant, de l’état passionnel. C’est une super-structure ». Même l’idée fixe que Ribot considère comme l’un des traits fondamentaux de la passion est pensée avoir ses origines dans une « lésion de la volonté » (Cf. note en page 23 Essai). Du fait que les instincts sont étroitement reliés aux états émotifs, l’opposition qui existe entre les instincts et l’intelligence montrerait aussi l’opposition qui existe entre les émotions et l’intelligence. Cette opposition est remarquée d’une manière frappante par Bergson (p. 164, l’évolution créatrice) : « Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher mais que par elle-même elle ne trouvera jamais. Ces choses, l’instinct seul les trouverait ; mais il ne les cherchera jamais ». Ribot reconnait aussi cette opposition quand il écrit (Essai, p..38) : »Dans la logique des sentiments, qui procède au rebours de la logique traditionnelle, la conclusion (la fin) est donnée d’avance ; elle détermine la valeur des jugements au lieu d’être déterminée par eux ». Ainsi nous voyons que le phénomène de la polarisation est vrai aussi de cette zone subjective du « facteur personnel ».

3. Même dans les limites strictes, ou plus subjectives, du domaine de la vie affective, il y a d’une part les émotions pures et tendres et d’autre part les passions entre lesquelles Ribot reconnait une opposition. Les passions, d’après lui sont « une émotion prolongée et intellectualisée ». D’un autre côté, les émotions tendres appartiennent au pôle instinctif plutôt qu’au pôle intellectuel. La même émotion peut avoir à un moment donné, une phase qui est plus intellectualisée et en complétant son cycle de durée naturelle peut à un autre moment se rattacher davantage au pôle instinctif. Mc Dougall mentionne l’exemple de l’émotion de l’espérance : « L’espérance dit-il est le nom donné aux sentiments complexes qui s’élèvent quand un désir quelconque travaille en nous et que nous anticipons le succès ; si de nouvelles difficultés interviennent, l’espoir fait place à l’inquiétude ou au désespoir, mais on ne peut pas dire, sous n’importe quelle circonstances, qu’il se mêle au désespoir ou qu’il amène l’inquiétude ; plutôt comme les circonstances se font moins favorables, le sentiment enraciné dans nos désirs, par gradations imperceptibles, change de l’espoir à l’inquiétude puis au désespoir ». (Wittemberg Symposium on the feelings and émotions, p. 204). Mac Dougall voit la possibilité de classifier tous les sentiments en deux groupes : les sentiments prospectifs et les sentiments rétrospectifs. »Ces sentiments complexes, écrit-il, sont connus dans la parole ordinaire comme émotions. Adoptant la terminologie proposée par Shand, j’en ai déjà discuté ailleurs sous le titre général de l’émotion prospective et rétrospective dérivée du désir ». Nous voyons ainsi que même dans la zone de l’activité personnelle subjective qui consiste en attitudes globales, nous observons le phénomène de la polarisation.

Dans la pensée nous atteignons la zone la plus subjective de l’activité du facteur personnel. Depuis le temps de Platon, les écrivains ont reconnu la distinction entre le monde des réalités et le monde des idées, du particulier et de l’universel. Les processus déductifs et inductifs, les points de vue rationaliste et empiriste qui ont été sujets à controverses philosophiques depuis des siècles, contiennent une supposition tacite de l’existence de deux aspects dans le processus de la pensée. « L’aperception » herbartienne contient la même implication. John Dewey dans « how we think » (p.79 Heath New York) présente le double mouvement de la pensée réfléchie de la manière suivante : Il y a ainsi un double mouvement dans toute réflexion : un mouvement d’une donnée partielle et confuse, une situation suggérée, complète et compréhensive (ou inclusive) ; et puis revenant de ce tout suggéré qui tel qu’il est suggéré, est un sens, une idée- un mouvement de retour aux faits particuliers de façon à les relier les uns aux autres et de les relier à des faits additionnels sur lesquels la suggestion avait attiré l’attention. D’une manière générale, le premier de ces mouvements est inductif, le second déductif. Un arbre complet de la pensée comprend les deux mouvements, c’est-à-dire une interaction effective de faits particuliers observés (ou que l’on se rappelle) et de sens suggérés et généraux ».

Ainsi ce que veut dire « ce double mouvement », c’est que même dans le processus de la pensée, il y a une alternation et une opposition qui ont été reconnues par les penseurs et les philosophes. Platon s’en rapporte spécifiquement au siège des désirs comme étant séparé du siège de la connaissance qu’il situe dans la tête tandis qu’il situe le premier dans les reins (Cf p.30, Story of philosophy W.Durant New-York). Pour Kant, les sens intérieurs sont distincts des sens extérieurs. Bergson va plus loin et fait ressortir l’opposition qui est à la base de l’instinct et de l’intelligence. Les psycho-analystes modernes expriment la même idée par le mot « ambivalence » attribué à Bleuler. (Cf. p. 161 et 163 The Psycho-analytic Method, O. Pfister dit à ce sujet : « Il vaut la peine de noter qu’en cas d’inhibition de l’une des tendances ambivalentes instinctives, l’autre subit une augmentation ». Le Dr Wallon écrit (p.285 de « Pour l’ère nouvelle », nov.29) : « A la vue de son frère, un personnage est frappé de gestes et de façons qui le ramènent au souvenir de leur commune enfance et qui, tout en leur restant communs, ont pris chez l’un et chez l’autre un sens aussi opposé qu’est devenu leur régime et leur idéal de vie. Il arrive de constater sur soi-même que certaines dispositions seraient capables de donner des effets contraires… Ces événements ambivalents constituent souvent la substance psychique de certaines conversions soudaines. Leur existence n’est pas sans influence sur la formation du caractère car l’ambivalence est loin de se résoudre en neutralité ».

Avant de terminer ces chapitres dans lesquels nous avons dirigé notre attention, pas à pas vers la notion de polarisation, peut-être est-il nécessaire de résumer notre position. Il doit être suffisamment clair à présent que par le terme de « polarisation » nous avons cherché seulement à ramener sous un terme général le caractère ambivalent des tendances soit dans le domaine physiologique, « behaviouriste », émotif ou mental. Nous avons trouvé que des termes tels que « ambivalence » ont été employés dans les branches spéciales de la psychologie ; de là la nécessité d’un terme spécial. La distinction que nous avons faite entre la moitié positive d’une chaine d’activité naturelle et la moitié plus instinctive, rétrospective ou négative de la même chaine, la distinction entre les émotions tendres et les passions, celle qui existe encore, entre les mouvements déductifs et inductifs d’un processus de la pensée réfléchie sont autant d’exemples de ce phénomène de polarisation. Le coté « ouvert », positif, analytique, intelligent est orienté vers l’avenir et ce côté répond en même temps à l’aspect public du facteur personnel. Le côté opposé qui est négatif et plutôt individuel est relié aux instincts, aux émotions rétrospectives. Il a comme fonction de saisir l’aspect global. Ce côté est en rapport avec le passé propre d’un individu et représente l’aspect anti-social ou « privé ».


CHAPITRE VI

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LE « FACTEUR PERSONNEL » EN RELATION

AVEC L’INDIVIDU ET LES TYPES

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Nous sommes arrivés maintenant à un degré de la discussion où nous pouvons considérer non seulement l’aspect général du « facteur personnel » ainsi que nous l’avons fait jusqu’ici, mais essayer de voir sur quels éléments peut se baser une conception de l’individu avec ses attributs spéciaux (ou caractère). Passant ainsi des aspects généraux et permanents du « facteur personnel » à ses aspects particuliers et temporaires, non seulement nous nous acheminons vers la discussion des types psychologiques, mais nous rencontrerons une série d’étapes et divers états du même individu correspondant à ces types psychologiques, mais nous rencontrerons une série d’étapes et divers états du même individu correspondant à ces types. A ce propos, le Dr Wallon écrit : « Le type se confond souvent avec le stade car le développement des fonctions est dans une certaine mesure successif, et bien qu’elles se commandent étroitement entre elles et qu’il n’en y ait pas d’isolable, toutefois elles peuvent marquer des degrés et des apports progressifs dans le plan total de l’activité » (« Pour l’ère nouvelle », nov.1926, p.256).

Les types, aussi bien que les états et les degrés, sont des variations dans deux directions divergentes. Nous avons déjà parlé de représenter ces directions divergentes graphiquement au moyen de deux lignes droites coordonnées se coupant à angles droits. Dr Béatrice Hinkle (Cf. The Recreation of the individual) a déjà reconnu cette possibilité et voici les deux lignes qu’elle propose : l’une représentant l’échelle extraversion-introversion et l’autre l’échelle objective-subjective. Ici la difficulté est que l’extraversion et l’introversion impliquent déjà l’objectivité et la subjectivité des tendances (v.p.50). A la suite de notre précédente discussion il serait sans doute plus correct, pour indiquer l’opposition dans la paire des tendances, d’employer le tableau ci-dessous déjà mentionné :

Subjectif                            objectif

Prospectif                          rétrospectif

Virtuel                                actuel

L’échelle des variations objectives et subjectives serait représentée par l’axe horizontal. Nous plaçons les variations prospectives et rétrospectives dans l’échelle verticale. Les qualités, que nous distinguons comme étant virtuelles et actuelles, appartiennent à ces deux échelles, le négatif étant virtuel et le positif étant actuel. On peut dire que la conscience personnelle, dans sa forme la plus nucléale, consiste en deux mouvements : un mouvement renfermé dans la conscience pure qui peut être indiqué par les événements contenus dans la phrase : « Ceci est connaissance » ; l’autre est  un mouvement qui peut être indiqué par la phrase : « Ceci est une table ». Celui-là, nous le distinguons comme  « vertical », celui-ci comme « latéral ». Le mot « ceci », dans les deux cas, représente ce que nous avons appelé entité virtuelle : il appartient au monde des universels ([26]) tandis que « connaissance » et « table » sont des particuliers appartenant à deux ordres différents. L’on peut dire que la zone la plus intérieure de la conscience est faite des activités de ces ordres.  Nous pouvons concevoir plusieurs cercles concentriques, coupant les axes en différents points, qui représenteraient les zones successives de l’activité personnelle. De même qu’il est important de reconnaitre les directions divergentes des tendances, de même il est nécessaire en partant de la réactivité personnelle, de concevoir les zones successives de l’activité personnelle. De même qu’il est important  de reconnaitre les directions divergentes des tendances, de même il est nécessaire en partant de la réactivité personnelle, de concevoir les zones successives comme étant distinctes les unes des autres, parce qu’il y a dans chaque zone un ordre différent de l’expression de la vie personnelle. Les variations entre différents individus, qui proviennent de la prédominance de l’activité centrifuge ou de l’activité centripète, sont des variations en extensité et en intensité de la vie personnelle dans ces zones successives. Le long de l’axe horizontal, nos indiquons ces qualités de l’activité personnelle que nous pourrions distinguer d’après Bergson comme appartenant à l’espace. D’autre part, nous pouvons indiquer les qualités appartenant au temps comme étant des variations dans l’échelle verticale. Il n’est pas possible, dans l’état actuel de notre connaissance des différentes zones, d’en parler avec exactitude. Mais nous pouvons montrer cependant d’une manière générale la nature des variations individuelles  en rapport avec les deux directions différentes que nous avons signalées. Les deux groupes de tendances pourraient se distinguer d’après l’aspect du milieu vers lequel les tendances sont orientées. Ces deux aspects du milieu sont indiqués par  Rusk  de  la  manière  suivante  ( p. 96 Phil. Base of Ed. ) : «  L’analyse  évidente  de l’environnement de l’être humain montre deux divisions principales que nous pouvons caractériser respectivement comme appartenant à la matière et à la culture de l’esprit ou autrement dit le physique et le mental. Il y a un environnement naturel comme il y a aussi un environnement psycho-social, le monde des choses et le monde de l’homme ». Il cite cette parole de Bosanquet : « Pour la vie, l’environnement est la surface de la terre, pour l’esprit, c’est l’univers ». Les tendances qui se dirigent vers la matière, nous les appelons « horizontales » parce qu’elles s’opposent aux autres que nous nommons « verticales ». L’opposition essentielle à la base de ces deux groupes de tendances est reconnue par la vision prophétique de Rousseau. Voici ce qu’il écrit : « tandis que je méditais sur la nature de l’homme, il me sembla y découvrir deux problèmes distincts ; l’un deux l’élevait à l’étude des vérités éternelles, à l’amour de la justice et de la vraie moralité, aux régions du monde de la pensée que la sage aime à contempler ; l’autre l’abaissait, le rendait esclave des sens, des passions qui en sont les instruments et ainsi s’opposait à tout ce que lui suggérait le premier principe » (Contrat social, Rusk, p.159). Cette distinction se trouve à la base de toute pensée philosophique. L’opposition entre le rationalisme et l’empirisme ([27]), l’idéalisme et le réalisme, la raison pure et la raison pratique (Kant), l’opposition entre les principes éthiques de Rousseau et ceux de Nietzsche et bien d’autres nous révèlent la même vision à la base de tout examen philosophique. Bertrand Russel insiste sur la reconnaissance des différences qui existent entre les espèces perceptuelles et les espèces physiques (Outline of Philosophy, p.144). Dans son livre « Comment diagnostiquer les aptitudes chez les écoliers » (p.233), le Dr Claparède donne une liste des couples contenant la même opposition :


Binet

Jung

James

Ostwald

De Maday

Nietzshe

Schiller

Poincaré

Lipnan

Rignano

Pascal

Duthem

* Subjectif………………..

* Introversion…………..

* Idéologues…………….

* Classiques…………….

* Travailleurs…………….

* Apolliniens……………..

* Sentimentaux………….

* Logiques (Analystes)..

* Gnostiques………………

* Analytiques………………

* Esprit de géométrie….

* Abstraits…………………..

Objectif

Extraversion

Positivistes

Romantiques

Combattants

Dyonisiens

Naïfs

Intuitifs (géomètres)

Techniques

Synthétiques

Esprit de finesse

Concrets

Devant  tenir compte de tant de points de vue, il ne nous est pas possible d’en parler avec exactitude : nous sommes donc obligés de garder notre plan formé de deux lignes se coupant à angles droits, que nous avons élaboré jusqu’ici. Le facteur personnel, comme nous l’avons dit consiste en zones successives reliées plus ou moins soit à l’un soit à l’autre de ces deux axes Les attitudes les plus subjectives des tendances se rapporteraient à l’axe vertical, les attitudes les plus objectives se rapporteraient à l’axe horizontal. En nous servant de ce plan, il nous sera aisé de situer chacun des termes ci-dessus qu’ont employés différents philosophes et différents penseurs.

L’étude des attitudes personnelles en termes plus généraux nous amène à la vie éthique et religieuse de l’homme. A l’aide de ce même plan, nous pouvons montrer l’opposition entre les vertus pures ou religieuses et les vertus purement sociales. Nous pouvons que l’éthique idéaliste de Rousseau est une expression verticale tandis que la volonté de puissance de


Nietzsche serait une expression latérale. Tout ce qui amènerait la rivalité (latéral) s’opposerait à la coopération (vertical)  ([28]).

Les mots, tels que caractère, individualité, personnalité, conduite et humeur doivent être conçus en terme d’une sorte de symétrie ou d’asymétrie dans l’harmonisation des différents éléments des attitudes et tendances qui entrent en jeu dans la vie personnelle. Ces mots ne font que dénoter différentes manières de parler des différents aspects de la vie personnelle. Les uns appuient davantage sur certains aspects de la vie personnelle. Les uns appuient davantage sur certains aspects de la vie quand ils parlent de caractère. Ribot, par exemple, exclurait l’intelligence lorsqu’il parle du caractère. Goethe, lui, appuie sur le point principal quand il écrit : « Le caractère consiste en un homme poursuivant avec persévérance les choses dont il se sent capable ». Kant fait aussi ressortir le même point : « Un homme dit-il, peut avoir bon cœur mais pas de caractère lorsqu’il dépend de ses impulsions et n’agit pas d’après des maximes ». La continuité des attitudes constitue donc le caractère. Le mot conduite s’applique à l’activité continue mais qui est cependant de plus courte durée. Le mot humeur désigne un état de plus courte durée encore. Individualité et personnalité ne signifient pas la même chose : individualité ne désigne pas nécessairement ce que nous avons appelé les aspects verticaux tandis que la personnalité tient compte des attributs humains les plus élevés. A ce propos John Adams dit entre autres : « Le terme individualité…lorsqu’il s’applique aux êtres humains porte en lui quelque chose de plus qu’une signification biologique ». Il fait ressortir que l’un des membres d’une classe de la société peut avoir une individualité tandis qu’un autre peut avoir une personnalité frappante, ce qui fait que tous deux appartiennent à des catégories tout à fait différentes… Donc nous pouvons dire que l’individualité envisage les aspects latéraux tandis que la personnalité envisage les aspects verticaux.


Lorsque nous parlons de types, nous devons nous rappeler la distinction que nous avons faite entre la personnalité et l’individualité. La plupart des psychologues, dans leurs essais pour déterminer les types sont guidés surtout par les variations dans les aspects représentés par l’axe latéral ([29]).

La discussion que voici sur les types psychologiques suit les lignes de l’article sur « Recent work of Psychological Types » par H.Klüyer (Journal of Nervous and Mental Disease) n°6 vol 62, 1925.

L’école de Jung est prédominante parmi celles qui nous suggèrent des types psychologiques. Ce sont les relations du sujet à l’objet dont elle tient compte pour déterminer les types. Sur la nature de l’extraversion et de l’introversion, Jung écrit : « Nous dirons qu’il y a extraversion partout où c’est au monde extérieur, à l’objet, que l’individu accorde son intérêt fondamental…il y a introversion, au contraire, lorsque le monde objectif subit une sorte de dénigrement ou de déconsidération au profit du sujet lui-même… Cette concentration sur la pensée, c’est-à-dire sur le monde intérieur, ce n’est pas autre chose que l’introversion ». (cf.p.232 Comment diagnostiquer les apt. Claparède). Il dit encore sur l’extraversion : « Par ce concept, je dénote une relation manifeste entre le sujet et l’objet dans le sens d’un mouvement positif d’intérêts subjectifs dirigés vers l’objet ». Lorsque cette relation de sujet à objet continue chez l’individu, nous l’appelons selon le cas, extraverti ou introverti. Jusqu’ici Jung ne reconnait que ce que nous appellerions variabilités latérales mais il se réfère aussi à quatre types différents. Le premier qu’il appelle « Denktypus », amène un nouveau facteur déterminant la variabilité qu’il oppose au «  Gefuhlstypus ». Ces deux types « rationnels » appartiennent, d’après nous à l’échelle verticale. Les deux autres, dits types « irrationnels », qu’il appelle sensoriel (Empfindungstypus) et intuitifs (intuitionstypus) sont évidemment des variations de l’axe latéral : l’intuitif étant négatif, le sensoriel étant positif dans l’échelle horizontale. Hinkle, Max Freyd et Jaspers suivent Jung de près dans ses principes extravertis et introvertis. Les deux types de Kretschmer, les « schizothymiques » et les « cyclothymiques », correspondent respectivement aux types introverti et extraverti, les seules différences étant, ainsi que Mac Dougall l’a fait ressortir, « qu’ils sont plus près du patient désordonné…mais que le cycloïde de Kretschmer est sans aucun doute une forme spéciale de l’extraverti de Jung ; et son schizoïde est une variété spéciale de l’introverti de Jung ». (Abn.Psycho.Mc Dougall, p.440). Nous pourrions dire que Kretschmer se tient davantage près des zones corporelles du facteur personnel quand il parle de types tout en reconnaissant les principes de Jung.

La conception de la « réactivité personnelle » (R), qui donne la « structure » du caractère, résulte de l’opération simultanée de certaines tendances vers l’expression que Klages appelle « Trieb Kraft » (T) et d’autres tendances compensatoires et opposées est donc aussi, d’après Klages, à la base de la détermination des types.

Le Dr Nicola Pende, dans sa conception du « biotype psychique », s’en tient davantage à la zone corporelle. Le caractère, pour lui, est le résultat de la prédominance d’une des deux « constellations neuro-harmoniques », opposées et compensatoires, qu’il distingue du nom d’ « excito-catabolique» et d’excito-anabolique ».Il appelle « tachypsychique » le type résultant de la prédominance résultant de la prédominance de l’autre constellation.

Dans Klages et dans Pende nous trouvons ainsi une conception du caractère indépendante de la relation subjective-objective et pour la première fois, nous voyons une conception de types se baser sur les variations de l’échelle verticale quoique toujours renfermés dans la zone physique.

Le Dr Wallon, qui trace les composants neurologiques du caractère reconnait « l’ambivalence » qui « joue dans la conduite le rôle de stimulant ou de réactif ».. Il reconnait aussi le principe de compensation ou de « surcompensation », facteur qui interviendra par plus ou moins dans le comportement du sujet (Pour l’ère nouvelle, n°52 nov29).

La distinction de H. Rorschach entre le type Fb, et le type B est le résultat d’expériences diagnostiques basées sur le phénomène de l’aperception. Ses expériences montrent que certains groupes de fonctions sont fortement développés dans le type Fb, tandis qu’un groupe d’autres fonctions prédomine dans le type B : c’est-à-dire que ces types indiquent seulement une différence. H. Klüver écrit à ce propos : « En essayant de déterminer exactement la différence, Rorschach trouve que les fonctions psychiques du type Fb sont pratiquement identiques aux fonctions du type extraverti ; les fonctions psychiques du type B identiques  à celles du type introverti. Ainsi Rorschach, considérant des différences dans le fonctionnement, présuppose l’existence des types de Jung.

Nous voyons donc que les recherches récentes faites dans le domaine des types psychologiques nous montrent qu’elles impliquent toutes une opposition entre deux groupes de tendances et que les types et le caractère individuel résultent de la prédominance de l’un ou l’autre de ces groupes. Elles montrent que la relation de sujet à sujet n’est pas la seule base de variations. La différence entre le type du penseur (Denktypus) et le « Gefuhlstypus » de Jung par exemple, n’appartient pas aux variations de l’échelle purement subjective-objective. Selon nous, elle appartiendrait à une variation de l’échelle verticale qui s’exprime d’une manière tout à fait différente dans chaque zone de la vie personnelle.

Donc bien des traits entrent dans la détermination de l’individualité ou caractère ou type auquel appartient l’individu et chacun d’eux est de nature telle que par lui-même, il peut produire bien des gradations et bien des variétés, qui rendent leur classification difficile. Le Dr O. Deroly écrit là-dessus : « Les combinaisons des traits psychiques sont en effet tellement nombreuses qu’il y a très peu de types branchés et une multitude de types intermédiaires »  (p.250, « Pour l’ère nouvelle » nov.29). C’est seulement par une description détaillée de chaque type que nous arriverons à une conception vraie de l’individu dans un but pratique. Un psychologue expérimenté, seul pourra donner d’une manière constante les détails du caractère de l’individu. Et même lorsque l’écrivain essaye de décrire des types au moyen de termes techniques, il se voit obligé de donner une description arbitraire venant de ses propres expériences. Jung et Rorschach s’en réfèrent invariablement à « leurs nombreuses années d’expérience ». Un description a été tentée par Mac Dougall qui étudie deux frères, l’un qu’il considère comme un extraverti (E) typique, l’autre un introverti typique (I). Voici quelques extraits de cette description nous montrant le genre de détails qu’il est obligé de donner pour bien faire ressortir le type qu’il a conçu :

« ….I aime les longues randonnées solitaires tandis que E ne fait jamais de promenade seul…. En poésie, E met en première place Keats et ne voit rien en Wordsworth… E ne semble avoir aucune ambition ou plan de vie : il prend la vie telle qu’elle est et jouit pleinement de chaque instant sans penser au futur. I est très préoccupé : « que doit-il faire ? Que doit-il devenir ? »

De cette description il ressort clairement que quelques-unes de ces différences ne peuvent pas être attribuées à une position dans l’échelle intro-extravertie. La différence mentionnée la dernière dans la citation ci-dessus est clairement reliée à l’intuition de temps plutôt qu’à l’intuition d’espace, c’est-à-dire appartenant à l’axe vertical plutôt qu’à l’axe horizontal. Les psychologues reconnaissent tacitement l’autre échelle de variations que nous avons appelée verticale. Le Dr Ad Ferrière (Types psych. Genève p.30) nous indique la nature des variations entre individus le long de cette échelle dans les termes suivants :

« Un rythme particulier à chaque individu le porte tantôt en avant, vers l’avenir à conquérir, tantôt en arrière, vers le passé avec lequel il convient de conserver le contact. L’avenir représente souvent l’effort et le risque, en tout cas l’inconnu. Le passé apparait en général comme le repos et la sécurité, le monde connu ou l’on a vécu et d’où l’on est parti. Certains enfants ont le goût du risque et leur nature est tendue vers le progrès ; certains autres, maladifs, affaiblis héréditaires, ou simplement doués d’une vitalité moindre, restent infantiles et se réfugient pour ainsi dire dans le passé : on dit de ces enfants, qu’ils s’accrochent aux jupes de leur maman. La majorité pourtant oscille entre les deux pôles, les efforts pour construire l’avenir étant suivis de périodes de repos où prédomine de nouveau l’infantilisme. Cela est normal. Il ne faut point s’en étonner, pourvu que l’une des phases ne prédomine pas trop longtemps sur l’autre, car l’effort surtendu conduit au surmenage et à la rupture avec les éléments sains du passé, et l’infantilisme trop prolongé engendre la stagnation et le « misonéisme ».

Le caractère est le résultat d’un équilibre plus ou moins permanent des différentes tendances : il ne doit être attribué à aucune faculté ou intelligence spéciale de l’individu. Même une simple aptitude qui caractérise un individu « n’est jamais quelque chose d’isolable », comme le dit H.Piéron. L’aptitude dit celui-ci, est une qualité pratique du fonctionnement organique général ». (Voir « Pour l’ère nouvelle », juillet-août 29). W. Stern a constaté aussi « qu’il n’y a pas de réaction partielle. Il s’ensuit donc, qu’en parlant de caractère, nous sommes obligés, si nous voulons être corrects, de nous servir des termes les plus généraux indiquant seulement une asymétrie dans l’état global des tendances de l’individu.

Ainsi nous pouvons dire qu’il y a deux types principaux d’individus selon la prédominance du développement des tendances que nous avons appelées latérales ou selon la prédominance du développement des tendances dites verticales. Chacune d’elles peut se diviser en deux types selon la prédominance du caractère positif ou selon la prédominance du caractère négatif. Un type latéral-positif serait un homme d’action ; un type latéral négatif serait un rêveur, bâtissant des châteaux en Espagne. Le contraste que Nietzsche fait entre l’esprit des Apolloniens et celui des Dionysiens représente une sorte d’introversion et d’extraversion impliquant une variation dans l’échelle latérale (V. p. 295 Jung Anal. Psycho. London). Dans l’échelle verticale, nous pouvons distinguer le type vertical-positif qui est le penseur actif à l’intelligence vive dirigée vers l’avenir et le type vertical-négatif qui est l’individu à l’esprit rétrospectif donnant une grande importance aux traditions, aux relations avec le passé. Lorsque ces caractéristiques ne sont pas clairement marquées, nous trouvons de nombreux types intermédiaires présentant des variations multiples, si multiples qu’elles rendent toute classification impossible.

SECONDE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

LE PROCESSUS EDUCATIF ET SES ASPECTS RELIES AU DEVELOPPEMENT ET L’ADAPTATION DES TENDANCES PERSONNELLES

Toute éducation a pour but d’amener des changements dans l’individu, d’une manière ou d’une autre. C’est un processus continu qui doit laisser dans l’individu, une marque permanente. Nous allons examiner ce qu’est, dans les termes les plus généraux, la nature de ce processus de manière à ce que nous puissions voir la nature de l’intervention de l’éducateur personnel.

Sir John Adams écrit dans son livre « Education Theory » (Benn London) : « On admettra généralement, pour commencer, que l’éducation est un processus bipolaire »,  et il continue de dire que ce n’est pas seulement entre l’éducateur et « l’éducande » ([30]) que ce caractère bipolaire existe mais que « cette bipolarité peut exister dans l’expérience d’un seul individu ». Voici comment il explique la nature de cette bipolarité : « Lorsque nous disons que l’éducation est bipolaire, nous voulons dire qu’elle est un processus qui comprend nécessairement un aspect objectif et un aspect subjectif quoiqu’il ne comprenne pas nécessairement deux personnes ». Les écrivains ont employé divers langages pour indiquer cette même bipolarité. Le Dr Paul Monroe dans son « Histoire de l’éducation » (Text Book, p. 4) parle de l’éducation de l’homme primitif comme consistant en « ces deux processus ; le premier qui est l’entraînement nécessaire à la satisfaction des nécessités pratiques de la vie…, le second, l’entraînement des procédés élaborés ou formes d’adoration… ». Le premier se rapporterait à l’aspect objectif, le deuxième à l’aspect subjectif. «Ce qui était vrai de l’éducation primitive, continue Monroe, est vrai aussi de la conception moderne de l’éducation. Le sens de l’éducation, telle qu’elle est conçue actuellement, repose sur l’essai de combiner et d’équilibrer ces deux éléments des droits individuels et des devoirs sociaux, du développement personnel et du service social ». Après avoir passé en revue d’autres définitions de l’éducation, Monroe conclut : « Quel que soit l’intérêt envisagé, pratique ou théorique, quelle que soit la ligne d’investigation, la signification du problème de l’éducation est donnée dans les termes de cette harmonisation des facteurs sociaux et individuels ».


Il est facile de voir que les deux aspects du processus correspondent étroitement eux deux aspects du facteur personnel que nous avons étudiés. L’aspect positif et l’aspect négatif du processus pourraient être indiqués par le tableau suivant :

négatif                                                             positif

subjectif                                               objectif

individuel                                             social

cultivé                                                             utilitaire

devoirs religieux                                  devoirs pratiques

Il est donc évident que l’éducation a pour but le développement de deux aspects distincts.

Educateurs et philosophes reconnaissent aussi l’opposition essentielle à la base des deux aspects. Bergson la reconnaît quand il écrit (p. 166 de l’Evolution créatrice) : « L’erreur capitale, celle qui, se transmettant depuis Aristote, a vicié la plupart des philosophies de la nature, est de voir dans la vie végétative, dans la vie instinctive et dans la vie raisonnable, trois degrés successifs d’une même tendance qui se développe, alors que ce sont trois directions divergentes d’une activité qui s’est scindée en grandissant ». Kant, de même, voit la nécessité de la lutte de chacun contre tous comme l’accompagnement indispensable du progrès, reconnaissant ainsi le conflit entre les deux aspects du facteur personnel (V, Will Durant The Story of philosophy p. 307). Rousseau nous montre cette opposition d’une manière frappante : « Forcé de combattre la nature ou les institutions sociales, il faut opter entre faire un comme ou un citoyen : car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre » (Emile, livre I). pestalozzi et Froebel reconnaissent tous deux une semblable distinction entre la nature innée et la nature sociale ou éthique de l’homme. Pestalozzi, par exemple, voit trois aspects distincts dans le même individu : l’homme animal, l’homme social, l’homme moral. « L’homme animal, écrit-il, est agité sous le contrôle de l’homme social… ; l’homme moral n’est pas l’œuvre de la société mais de lui-même » ([31]).  L’analogie favorite d’Herbart de « greffer des pousses de valeur sur des plants sauvages » et ses concepts « aperceptifs » ou de la fusion de l’idée ancienne et de l’idée nouvelle indiquent de même la bipolarité du processus ci-dessus mentionné.

La bipolarité et les conflits sont donc deux caractéristiques bien reconnues des théoriciens. C’est ainsi que W.H. Rivers écrit (p. 258 Instincts and The Inconscious Cambridge 1922) : « La vie de l’enfant est un long conflit entre les tendances instinctives et les forces des plus âgés qui viennent s’opposer à ces tendances et bien des personnes commencent à croire que le  caractère est largement déterminé par la stratégie et la tactique de ce conflit ». L’œuvre d’un éducateur serait donc de voir à ce qu’il y ait une succession continue des conflits dans le processus du développement de l’enfant. Il doit voir que cette succession ait une direction progressive ou positive ou plus que tout cela, que le développement soit harmonieux ou naturel. Cela voudrait dire que ni le positif ni le négatif des deux groupes de tendances que nous avons étudiés ne doivent trop prédominer à aucun degré du processus. Pestalozzi explique ce développement naturel de la manière suivante : « Une éducation saine apparaît devant moi, symbolisée par un arbre planté auprès d’eaux fertilisantes. Une petite graine, contenant le modèle de l’arbre, est placée dans le sol. L’arbre entier n’est qu’une chaîne ininterrompue de parties organiques, le plan desquelles existait dans la graine et dans la racine. L’homme est pareil à l’arbre. Dans le nouveau-né sont cachées ces facultés qui s’épanouiront durant la vie… »([32]). L’art de l’éducateur consiste à voir que tous les aspects de la vie personnelle de l’enfant se développent harmonieusement, dans un ordre naturel. Mais, pour intervenir ainsi dans la vie de l’enfant, l’éducateur doit avoir quelques principes dirigeants.

Ces principes dirigeants peuvent être tous tirés de l’examen de l’un des premiers pas du développement de l’enfant, c’est-à-dire le sevrage. Lorsque la mère refuse de nourrit l’enfant de son propre lait, elle donne lieu à un conflit qui est le premier pas dans le processus du sevrage et qui peut être caractérisé comme étant négatif. Cette négation produit une sorte de dissatisfaction demandant une compensation émotive. L’étape positive du processus commence lorsque la mère essaye d’initier l’enfant à de nouveaux intérêts en rapport avec ses besoins. La mère aide l’enfant à éliminer et à choisir entre plusieurs objets de satisfaction et lui donne une direction générale jusqu’à ce que, par une habitude continue, il mette à suivre une orbite d’intérêt nouvelle et plus étendue.

On observera que le processus de l’éducation présente définitivement deux côtés distincts, l’un négatif se rapportant au pôle négatif d facteur personnel, l’autre positif dans lequel l’intelligence entre en jeu. L’extension de la connaissance des choses qui accompagne ce processus est un développement de ces aspects que nous avons distingués comme étant latéraux. L’autre aspect du processus est comparativement indépendant de celui-ci étant plus subjectif et, d’après notre terminologie, appartient donc à l’axe vertical. Platon reconnaît cette distinction entre les deux aspects de l’éducation quand il écrit que l’éducation d’un philosophe « ne consiste pas en une simple extension de la connaissance, en un développement plus étendu des expériences, mais qu’elle demande une inversion complète d’attitude ou une direction nouvelle de l’esprit ». (V. Rusk Phil. Bases of Edc. p. 134). Les écrivains modernes reconnaissent de plus en plus le conflit résultant du contact de la nature que l’enfant avec les forces sociales. (V. Rusk Phil. Bases of Edc. p.121).

Nous pouvons ainsi parler de quatre phases dans le processus éducatif.

En rapport avec les aspects verticaux du développement, nous trouvons les phases :

1° négative-subjective, purement reliée aux instincts et aux émotions,

2° positive-subjective, en rapport avec le développement de l’intelligence et dont les fonctions sont la sélection, le jugement.

En rapport avec les aspects latéraux du développement, nous trouvons les phases :

1° négative-objective en rapport avec le monde des universaux du niveau objectif,

2° positive-objective reliée au particulier, au concret.

La fonction de l’éducateur a souvent été comparée à celle du jardinier. La nature de ses interventions dans le développement de l’enfant peut être étudiée au moyen d’une comparaison avec l’action d’un jardinier qui transplante une jeune plante. Son premier soin sera de protéger la plante contre le soleil puis, par différents moyens, d’aider à la racine à se fixer et à se nourrir. Cet exemple nous montre clairement ce que nous avons essayé d’expliquer comme étant l’aspect négatif du processus éducatif. C’est dans celui-ci que l’intervention personnelle est la plus nécessaire et la plus justifiée. Chaque impulsion positive, à chaque degré du processus, doit avoir des compensations négatives. Ces compensations négatives consistent dans l’établissement de relations étroitement personnelles entre l’éducateur et l’élève. Elles exigent un ajustement minutieux de chaque instant. L’éducateur, même dans l’aspect positif du développement de l’enfant, lui sert de modèle, comme représentant son avenir. Aucun système de règles mécaniques ne peut remplacer le jugement personnel que nécessite le besoin d’équilibrer des forces constamment opposées.

Nous voyons ainsi que l’éducateur personnel est un facteur indispensable et même important dans un processus d’éducation digne de ce nom.



([1]) « Les pensées sur l’éducation » de  Locke furent publiées en 1693 et avec lui ont commencé les nouvelles tendances au sujet de la théorie éducative. Nous passons ensuite à Rousseau en 1792. Nous relevons les mêmes tendances continuées chez Kant et Herbart. Après 1850 les noms de Stanley Hall, William James et John Dewey sont quelques-uns des philosophes qui ont contribué largement à former la théorie éducative moderne

([2]) Par exemple selon la philosophie de Locke, l’enfant commence sa vie avec une « table rase », sur laquelle les expériences qui viennent pus tard donc a posteriori laissent les impressions éducatives, tandis que selon Rousseau il y a des tendances innées qui par la nature elle-même pourraient accomplir l’œuvre de l’éducation. Kant appartient aussi à cette école.

([3]) Mot employé par Sir John Adams (Cf Educationnal Theories, Benn, London).

([4]) On a souvent de l’éducation qu’elle était une « préparation pour la vie », voulant indiquer par là une préparation d’une nature plus ou moins permanente et générale de sorte que cette préparation se fera sentir dans la vie tout entière et non seulement dans les situations qui mettent en jeu une aptitude spéciale de l’individu ou un aspect particulier de la personnalité. En d’autres termes au lieu de préparer tel individu à devenir un bon mécanicien, un bon soldat ou un bon prêtre,  l’éducation sera plutôt une initiation générale à l’art de vivre intelligemment dans les différentes étapes et conditions de l’existence. Pour mieux faire ressortir ce que nous entendons nous allons nous servir d’une comparaison prise dans la science médicale ; la médecine a à faire avec les états ou conditions pathologiques de la vie et leur élimination. Ces conditions ont le plus souvent un caractère passager, ce qui fait que le traitement et le diagnostic sont d’une durée comparativement courte. Les résultats obtenus se mesurent aussi plus facilement que ceux qui résultent d’une mauvaise adaptation de la personnalité au point de vue éducatif. La nature subjective et la lenteur des modifications dues à l’éducation font de la pédagogie un champ de spéculation théorique.

([5]) La distinction entre les termes personnalité et individualité a été montrée par Sir John Adams (The Evolution of Educational Theory p.113-14) citée par Rusk (Phil. Bas, of Ed p 45) de laquelle nous extrayons ce qui suit :  « Lorsqu’il s’applique aux êtres humains, le terme individualité porte cependant en lui quelque chosede plus qu’un sens biologique… le terme personnalité comprend presque toujours une allusion à la manière avec laquelle l’individu réagit sur d’autres individus ».

([6]) Jusqu’à l’époque de Descartes (1596-1650), on s’en est tenu à la coutume de bâtir des édifices philosophiques sur des axiomes tels que « Cogito ergo sum ». Les tendances ultra positives issues du triomphe de la science, méprisent de telles constructions. De la tentation pour la Science moderne de se passer, pendant un certain temps, de tout postulat dépassant l’expérience empirique pour se cantonner dans un strict matérialisme ou mécanisme jusqu’à ce que le progrès de la pensée biologique lui apporte une impulsion nouvelle. Des questions telles que celles de l’origine des espèces dans le domaine biologique mirent en honneur le goût des généralisations à propos de la vie. La psychologie humaine et la pensée philosophique elle-même bénéficièrent de cette tendance, soit par des généralisations directes, soit par des analogies avec la vie animale, donnant ainsi une base plus concrète à la pensée abstraite. De ce fait, la philosophie a pu prendre un caractère plus »ouvert », plus accessible, bref, elle est devenu une discipline pus rationnelle. La théorie de la récapitulation attribuée à Haeckel est un exemple très clair de l’influence des analogies sur la pensée philosophique et psychologique. Will Durant trace pour nous dans les mots suivants, cette tendance biologique qui a commencé à déplacer le point de vue mécanique  de l’école spencérienne : « The rapid absolescence of his ( Spencer ‘s) philosophy is due largely to the replacement of the physical by the biological standpoint in recent thought ; by the growing disposition to the essence and secret of the world in the movement of life rather than in the inertia of things…It was Schopenhauer who first in modern thought, emphasized the possibility of making the concept of life more fundamental and inclusive than that of force ; it is Bergson who in our own generation has taken up this idea, and has almost converted a skeptical world to it by the force of his sincerity and his eloquence” (p.488 The Story of Philosophy. New-York).

([7]) La relation exacte qui existe entre une réaction complète et une sensation simple n’est pas facile à déterminer. Quoiqu’il soit vrai que les réactions sont les résultats ou des stimulations simples, telles stimulations ne doivent pas être considérées comme la cause seule et directe de la réaction. La réaction complète dirigée vers un but biologique est en rapport avec la nature innée du système nerveux et son fonctionnement primitif ; et chaque fois qu’il y a une stimulation partielle, il y a tendance à produire des réactions complètes.

([8]) La relation exacte qui existe entre une réaction complète et une sensation simple n’est pas facile à déterminer. Quoiqu’il soit vrai que les réactions sont les résultats ou des stimulations simples, telles stimulations ne doivent pas être considérées comme la cause seule et directe de la réaction. La réaction complète dirigée vers un but biologique est en rapport avec la nature innée du système nerveux et son fonctionnement primitif ; et chaque fois qu’il y a une stimulation partielle, il y a tendance à produire des réactions complètes.

([9]) Le docteur Adolphe Ferrière explique ainsi la fonction de l’éducateur et l’origine du mot « éducation » : « Que peut faire alors l’éducateur ? Il doit, je l’ai dit, partir de ce qui est et non de ce qui pourrait être… »

« Eduquer consistera à partir de ce qui est, afin de conduire (ex-ducere) vers ce qui est mieux… », p. 50-51 de l’Ecole active » Ed. Forum, Genève 1926.

([10]) L’ordre naturel d’une telle succession des phases subjectives et objectives de la connaissance innée dans son emploi naturel est indiqué par Bergson comme suit : « on trouve que cette connaissance porte dans le premier cas sur des choses et dans le second cas sur des rapports ». (l’évolution créatrice, p.161).

([11]) Dans le chapitre sur l’existence et le néant, Bergson discute en détails l’idée contenue ici. Il conclut : » La représentation du vide est toujours une représentation pleine qui se résout à l’analyse en deux éléments positifs : l’idée distincte ou confuse d’une substitution et le sentiment, éprouvé ou imaginé, d’un désir ou d’un regret ». l’évolution créatrice, p. 307). Voir aussi p.42 de cet ouvrage.

([12]) Nous trouvons encore chez William Mc Dougall (Psychology H.U.L. p.104) :  »The primitive cycle of purposive or mental activity seems to be cognition, which conation, issuing in bodily activity, brings a feeling about a new cognition that in turn brings a feeling about a new cognition that in turns brings a feeling of satisfaction and terminates the conation”.

([13]) Voir p.532, « Traité de psycho ». Dumas. Félix Alcan, Paris, T. II

([14]) Pour éviter une discussion détaillée des deux principes ci-dessus mentionnés, voir Starling “Principles of Physiology”, p.46. Voir aussi Dumas, « Traité de psy. » p. 578 : « Les biologistes distinguent actuellement deux espèces de variations : les unes sont dues à l’influence  des circonstances extérieures : ce sont des fluctuations ; on a démontré récemment qu’il y avait une autre espèce de variation, indépendante de l’influence du milieu…, etc… ».

([15]) D.F. Harris « Nerves » The Home University Library 1928 p.127. “The conception of the nervous system we should have is that of myriads of ingoing neurons incessantly carrying towards and upwards multitudes of impulses from the periphery and pouring them upon thousands of cell bodies or centers in the grey matter. These centers thus roused to activity discharge outwards, streams of impulses destined for the innervations of muscles, blood vessels, heart, glands and other tissues”.

([16]) Cf. p. 200 “Analytical Psychology” par Jung. Baillière Tindall et cox London.

([17]) Cf. article de l’auteur dans la revue « Action et Pensée » (vol. 8 janvier 1932) intitulé « some biological facts that support « ambivalence ».

([18]) V. Instinct and the Unconscious. Cambridge, p. 111.

([19]) W.R. Rivers «Instinct and the Unconscious ». Cambridge, 1929, p. 116

([20]) Esquisse d’une théorie du sommeil. Arch. De Psychol. IV (Genève, 1905) citée par Mc. Dougall dans « Outline of Abnormal Psychology », p. 68.

([21]) V. Dumas, Traité de psych., t. I, p. 112. « Quand le sommeil, écrit Gley, est complètement et profondément établi, le sujet est comparable à l’animal auquel le physiologiste vient d’enlever les hémisphères cérébraux… » « Le sommeil ne survient pas brusquement ; il est tout d’abord annoncé par un besoin de dormir… cette sensation est comparable à celle de la faim et de la soif ».

([22]) Rivers « Instinct and the Unconscious », p. 110, Cambridge, 1922

([23]) Ar. Outline of Abnormal Psychology, p. 82 Mc Dougall

(3) Op. cit., p. 92

([24]) Voir « Wittemburg Symposium on Feeling and Emotions » Clark University Press, page 21.

([25]) Tout objet qui éveille un instinct éveille en même temps une émotion a écrit William James.

([26]) Il n’est guère possible d’entrer ici dans une discussion philosophique pour faire ressortir ce que nous entendons par le monde des universels et le monde des particuliers. C’est une discussion que la philosophie reconnaît depuis le temps de Platon cf. la théorie des idées de Platon n’est rien d’autre qu’une reconnaissance de l’existence de ce monde des universels. Bertrand Russel consacre tout un chapitre dans son ouvrage « The problems of philosophy » (H.U.L. page 142) à un examen de cette question, des universels et des particuliers. Il explique : (ibid., p.145) « The word « idea » has acquired, in the course of time many associations which are quite misleading when applied to Plato’s  “ideas”. We shall therefore use the word “universal” instead of idea to describe what Plato meant. The essence of the sort of entity that Plato meant is that it is opposed to the particular things that are given in sensation. We speak of whatever is given in sensation, or is of the same nature as things given in sensation, as a particular ; by opposition all our knowledge is derived from experience: the rationalists – who were represented by the continental philosophers of the seventeenth century, especially Descartes and Leibniz maintained that in addition to what we know by experience there are certain innate ideas and innate principle which we know independently of experiences.

Il sera facile de voir dans la liste ci-dessus qu’il existe la même sorte d’opposition que nous avons signalée plus haut au moins dans les cas marqués par l’astérisque.

([27]) Il sera impossible dans les limites de cette étude d’entrer dans une discussion complète d’un schéma de corrélation des diverses paires d’expressions philosophiques employées ici. Nous nous contenterons de remarquer dans la liste ci-dessus que la première

([28]) Ce n’est pas facile d’indiquer sous forme d’une définition précise tout ce que nous voulons dire par les expressions « latérale » et « verticale » de la personnalité. On trouvera ailleurs dans cette étude, des aspects de cette distinction expliquée selon le contexte. Cette manière de distinguer n’est pas nouvelle mais elle a été reconnue par savants surtout ceux qui étudient la personnalité. Nous ne choisissons qu’un exemple, celui du professeur Gilbert Murray dans son livre « Euripides and his Age » (H.U.I. pages 191-195) d’où nous avons pris la phrase suivante : « He who most loves the ideal natural man seldom agreses with the majority of his neighbours » (page 196).

La manière la plus simple, dans laquelle cette distinction entre « verticale » et « latérale » pouvait être faite, serait de les traiter comme se rapportant avec l’espace (latérale) et avec le temps (verticale) selon la méthode de Bergson. Une telle image ou plan qui représente deux aspects de la vie se coupant à angles droits n’est pas un nouveau départ fantaisiste des modes dans la pensée courante de l’éducation. Même un écrivain reconnu comme John Dewey emploie des expressions analogues à celle que nous avons employée ici nous-mêmes, à propos de la psychologie américaine basée sur « Stimulus-Response » (S-R). Il écrit : « Particular S-R connections interpreted on the basis of isolated reflexes, are viewed as static cross-sections, and the factor most important in Education, namely, the longitudinal the temporal span of growth and change is neglected ». P. 67-68 « The Sources of a Science of Education » Horace Liverright, New-York, 1929.

Cf. «The Story fo Philosophy by Will Durant. “What is good ?... To be brave is good ». «What is good ?... All that increase the feeling of power, the will to power, power itself in man». (Extracts quoted from Nietzsche writings). «If there is any cure for this social evil, it is to be found in the substitution of low for individual ; in arming the general will with a real strength beyond the power of any individual will». From Rousseau, cited in Rusk «Phil. Bases of ed. ».

([29]) La discussion que voici sur les types psychologiques suit les lignes de l’article sur « Recent work of Psychological Types » par H. Klüver (Journal of Nervous and Mental Disease) n°6 vol. 62, 1925.

([30])  Cf. note sur p. 3.

([31]) V. p. 173, tome 7, « Teachers Encyclopedia », Caxton London.

([32]) Cf. Montoe « History of Education » p. 611


THESIS PART 2